La tyrannie des idéologues verts s’oppose à la légitimité démocratique
Article paru dans le journal Le Monde du 4 novembre 2014
Vous êtes chef d’entreprise, exploitant agricole, vous souhaitez monter un projet. Vous déposez votre dossier auprès des autorités compétentes, remplissez les formalités administratives, obtenez les autorisations. Si votre projet touche une collectivité ou un territoire précis, un vote d’un conseil municipal ou régional l’entérinera ou le désapprouvera. Vous croyez être sorti d’affaire.
Erreur : vous devez encore passer devant un tribunal invisible qui, lui, ne se soucie ni de rationalité ni de rendement. Il juge selon ses propres valeurs. En France, ce tribunal est composé d’un triumvirat impitoyable, M Duflot, MM. Bové et Mamère. Ce sont eux et le parti Europe Ecologie-Les Verts qui sont désormais l’arbitre des élégances.
Si vous échouez à les convaincre, si vous n’obtenez pas leur imprimatur, vous n’avez aucun moyen de mettre en œuvre votre plan. Vous pouvez bien négocier pendant des années, comme à Notre-Dame-des-Landes, faire des concessions, accepter de sauver les batraciens, épargner les zones humides, la condamnation est sans appel : il faut renoncer ou subir les assauts des « zadistes », ces occupants baroques des « zones à défendre » qui viennent avec armes et bagages squatter le terrain.
Il y a du pittoresque dans ces tribus bariolées qui s’insinuent en France et ailleurs dans les interstices de notre société et décident que construire un barrage, une autoroute, une ligne de TGV ou une ferme industrielle est un crime contre la Terre. On peut s’amuser de ces rebelles divagants, de leurs potagers autogérés, de leurs cabanes dans les arbres : persuadés de la fin imminente du capitalisme, ils veulent rétablir une communauté rurale proche des origines. Ce sont nos Amish hexagonaux, l’éthique du travail en moins.
Mais l’exotisme de nos bons sauvages s’arrête où commence leur pouvoir de nuisance, surtout quand ils sont rejoints par des minorités de casseurs qui ont érigé la violence en culte. N’importe quel groupe peut ainsi bloquer une proposition démocratiquement votée : tyrannie subtile de féodalités idéologiques prêtes à s’insurger dès qu’une loi touche leurs intérêts. On l’a vu avec les « bonnets rouges », qui ont poussé le gouvernement à la capitulation sur l’écotaxe. La démocratie représentative n’est investie d’aucune autorité, la légalité d’un vote est immédiatement contestée par la « légitimité citoyenne ». Même l’Assemblée nationale est bafouée dans son autorité : quoi qu’elle décide, la rue la rectifiera si telle est sa volonté.
Ignorance agressive
Dans ce type d’agitation, un petit nombre de militants montre la voie depuis vingt ans, les faucheurs volontaires, qui vont détruire, dans une quasi-impunité, les champs semés d’organismes génétiquement modifiés, au nom du risque encouru (lequel n’a jamais été prouvé). Quelle compétence accorder à ces activistes qui interviennent au nom d’un dommage potentiel ? Comment s’assurer que cet interventionnisme n’est pas le fer de lance d’une ignorance agressive où l’on brandit ses convictions pour interdire la moindre initiative ? Etendre le cercle de l’expertise aux ONG, aux citoyens devenus soudain décisionnaires dans les politiques d’environnement, au-dessus des institutions représentatives, c’est surtout étendre le cercle de l’arbitraire.
Comme souvent, la noblesse de la cause, défendre la planète, justifie l’arbitraire des moyens. Cela fait de vous un être quasi intouchable qui peut saccager la propriété d’autrui sans être inquiété, José Bové en est la preuve. Avec une telle mentalité dans les années 1950-1960, on n’eut jamais construit une ligne de chemin de fer, une centrale nucléaire, une retenue d’eau, une usine, et la France serait restée dans le sous-développement consécutif à la seconde guerre mondiale. Le projet du barrage de Sivens sera vraisemblablement abandonné malgré son utilité pour les fermiers de la région (cultivateurs de maïs, céréale suspecte aux yeux de nos puristes).
Cela augure mal d’autres grands travaux.
Mais les protestataires devraient se méfier. La mort tragique de Rémi Fraisse, en dépit de son exploitation indécente par certains, ne leur assurera pas un capital symbolique illimité. Et l’opinion publique, pourtant soucieuse d’environnement, risque de se retourner contre eux. A quoi reconnaît-on un écologiste en France ? A son aversion à peine cachée envers les ingénieurs, les constructeurs, les architectes coupables de vouloir transformer la matière. A ce qu’il est contre tout, le charbon, même avec séquestration du CO2, le gaz naturel, le gaz de schiste, l’éthanol, le fuel lourd, le nucléaire, le pétrole, les barrages, les camions, le TGV, la voiture, l’avion. Comme la poupée de la chanson de Polnareff, il dit toujours non et non. Les citoyens à leur tour pourraient être tentés de censurer les censeurs.