Flavescence dorée et "Foll" tentation clientéliste
Projet d’arrêté modifié relatif à la lutte contre la flavescence dorée de la vigne et contre son agent vecteur
Courrié envoyé au ministère de l'Agriculture
Par André Heitz, Ingénieur agronome - http://seppi.over-blog.com/2015/06/flavescence-doree-de-la-vigne-clientelisme-contre-principe-de-prevention.html
Madame, Monsieur,
Vous avez mis en consultation un projet d’arrêté modifié relatif à la lutte contre la flavescence dorée de la vigne et contre son agent vecteur.
Un Ministère conscient de ses responsabilités en matière de prévention – à distinguer de la précaution – prend toutes les mesures nécessaires pour empêcher la propagation de la flavescence dorée. On rappellera à cet égard le « vocabulaire de l'environnement (liste de termes, expressions et définitions adoptés) », évidemment applicable aussi à l'agriculture [1] :
« principe de prévention
[...]
Définition : Principe selon lequel il est nécessaire d'éviter ou de réduire les dommages liés aux risques avérés d'atteinte à l'environnement, en agissant en priorité à la source et en recourant aux meilleures techniques disponibles ».
Les meilleures techniques disponibles, ce sont celles qui sont imposées par la réglementation de base. Toute dérogation revient à baisser la garde.
Un Ministre conscient de ses responsabilités politiques s'attache aussi à suivre les principes du « choc de simplification ». L'ajout d'une nouvelle dérogation – qui impliquera une perte de temps et une dilapidation des moyens de l'Administration – est contraire à ces principes. Cela pour un bénéfice au mieux nul, en fait négatif.
Conséquence tant du principe de prévention que du choc de simplification, l'arrêté de base devrait être révisé pour supprimer toutes les dérogations.
Autoriser une nouvelle dérogation – et ce, en périmètre de lutte et, de surcroît, dans le contexte d'une violente contestation des mesures de lutte (affaire Giboulot et autres affaires) – c'est inciter à une escalade dans la contestation et la délinquance appelée par euphémisme « désobéissance civile ».
Insistons : l'évaluation du rapport coût/bénéfice ne doit pas se limiter à la seule question de la production de greffons, mais s'étendre aux incidences sur la lutte contre la flavescence dorée dans l'ensemble du vignoble, à la nécessité d'un contrôle accru, à la mobilisation des moyens administratifs, policiers et judiciaires.
L'avis de mise en consultation précise que l'objet de la modification est :
« d’y intégrer la possibilité d’utiliser des insecticides compatibles avec la conduite de parcelles de vignes-mères de greffons bio lorsque celles-ci sont situées en périmètre de lutte. »
Cette modification est inutile et, en dernière analyse, clientéliste. La conversion vers l'agriculture biologique exige un « délai de carence » de trois ans dans le cas des cultures pérennes. Trois ans, c'est la durée minimale pour qu'un plant de vigne nouvellement planté ou greffé produise des fruits. En conséquence, la viticulture biologique peut parfaitement s'accommoder de greffons issus de vignes-mères traitées avec des produits phytosanitaires de synthèse.
C'est évidemment sans compter le fait que, au final, ce sont les pouvoirs publics – et non des idéologues anti-pesticides [2] – qui définissent les modalités de culture applicables à l'agriculture biologique.
À cet égard, et sauf erreur, il n'y a pas eu de revendication insistante pour une modification des règles de production. La viticulture « bio » a pu s'accommoder de la situation actuelle, s'agissant su matériel de plantation, en périmètre de lutte.
L'aménagement d'une possibilité de dérogation obligera les pépiniéristes fournisseurs de la filière « bio » à la demander. Et les viticulteurs « bio » à s'approvisionner chez eux, conformément aux règles applicables. Les viticulteurs pragmatiques, conscients de la plus grande sécurité sanitaire des plants issus de vignes-mères traitées avec des produits de synthèse, seront privés de la possibilité d'utiliser ces plants.
Et ce sont également les vignes des producteurs voisins qui seront menacées parce qu'on aura baissé la garde en matière de lutte contre la cicadelle et la flavescence dorée.
Le non-dit (1). -- L'avis de mise en consultation précise que l'objet de la modification est :
« d’y intégrer la possibilité d’utiliser des insecticides compatibles avec la conduite de parcelles de vignes-mères de greffons bio lorsque celles-ci sont situées en périmètre de lutte. »
Cette intention n'est pas exprimée dans le texte du projet d'arrêté.
Le non-dit (2). -- Selon l'avis de mise en consultation :
« Cette dérogation est instruite au vu de la densité de la présence de l’insecte vecteur (la cicadelle) dans la parcelle concernée et aux abords de celle-ci. »
Le projet d'arrêté n'apporte pas les précisions et en reste à « une analyse de risque ».
Ce n'est pas là chipoter. Au vu de l'intention affichée dans l'avis de mise en consultation (et non dans le projet d'arrêté...), on peut s'attendre à un contentieux de la part de producteurs de greffons « bio » que l'on pourrait qualifier d'« intégristes ». Toute précision dans l'arrêté – plutôt que dans l'avis que l'on s'empressera d'oublier et dont on prétendra qu'il n'a aucune valeur juridique – serait donc bienvenue (considérant ici que M. le Ministre de l'agriculture a l'intention de persister dans l'erreur). En plus, ça ne coûte rien !
Le « trop-dit ». -- Selon le projet de texte,
« Les demandes de dérogation devront être formulées auprès de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt avant le 31 mars de chaque année, qui les instruit au regard d’une analyse de risque. »
La relative ne figure pas dans les dispositions existantes, ayant trait aux autres dérogations. Elle n'ajoute-rien au dispositif. On voit mal comment une direction régionale pourrait instruire une demande de dérogation, formulée dans le cadre de la nouvelle disposition ou des anciennes, sans tenir compte des risques.
Mais elle ajoute de la confusion. Selon les canons du droit, cette relative implique, si elle est adoptée, que les autres dérogations sont instruites sans analyse de risque...
L'incohérence rédactionnelle et, partant, juridique. -- Le texte existant qu'il s'agit de modifier (si M. le Ministre persiste...) a défini l'expression « évaluation du risque sanitaire » comme une « analyse des risques locale établie par les services régionaux chargés de la protection des végétaux sur la base notamment d'informations d'ordre épidémiologique ».
La nouvelle « analyse de risque » est-elle différente de l'« évaluation du risque sanitaire » ? Selon les canons du droit, oui...
Selon l'avis de mise en consultation :
« Le retour d’expérience de l’application de l’arrêté du 19 décembre 2013 au cours de la campagne 2014 conduit à modifier l’arrêté afin d’y intégrer la possibilité d’utiliser des insecticides compatibles avec la conduite de parcelles de vignes-mères de greffons bio lorsque celles-ci sont situées en périmètre de lutte. »
Il n'y avait pas de dérogations du type que l'on se propose d'introduire dans les périmètres de lutte. Et le retour d'expérience ne serait – s'il était réel et non fictif – que d'une seule campagne. Le justification de la modification est donc au mieux, ridicule si elle n'était pas indécente.
Mais ce n'est pas tout. Cette « justification » trahit le manque de réflexion qui sous-tend le projet de modification et, partant, une carence de l'État. Pour rappel, le principe de prévention exige que l'on recoure « aux meilleures techniques disponibles ». Un viticulteur subissant des pertes dues à une flavescence dorée transmise à partir de vignes plantées avec des greffons ayant fait l'objet d'une dérogation pourrait donc, à bon droit, invoquer la responsabilité de l'État pour la réparation du préjudice subi.
À l'évidence, l'objet de la dérogation est la substitution d'un insecticide autorisé en agriculture biologique à un produit de synthèse. Le spectre d'action du premier étant plus large que celui du second, la mesure proposée est « antiécologique ».
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, les assurances de ma considération distinguée.
André Heitz
Ingénieur agronome (en retraite)