Lois de la Nature
Nous avons récemment fait un exposé (voir sur le site : http://www.scmsa.eu/archives/BB_paradoxes_probabilistes_2016_02.pdf) à propos des lois de la Nature, qui sont de nature fondamentalement probabiliste. Actuellement, la plupart des gens (et la totalité des politiques et des journalistes) considèrent que, sur un sujet de société quelconque, l'important est de recueillir un consensus. Une explication sur laquelle 99% des gens sont d'accord serait "plus vraie" qu'une explication qui ne recueille que 3% d'assentiments. C'est peut-être un paradoxe de la démocratie : pour qu'une orientation soit acceptée, il faut qu'elle recueille davantage de suffrages, d'où d'innombrables vagues de communication, pour faire passer telle ou telle idée auprès du plus grand nombre de gens possible.
L'histoire des idées montre que cette attitude est complètement erronée : toutes les découvertes, dans quelque discipline que ce soit, ont été faites par des gens qui allaient à l'encontre des idées dominantes. La foule s'enferme dans une certitude, s'y assure, s'y protège, et n'est jamais capable de la remettre en cause, quand bien même elle est radicalement fausse.
Le rôle du mathématicien est d'essayer de transcrire les lois de la Nature, qu'elles plaisent ou non. En particulier, contrairement à ce que croient la plupart des gens (et la totalité des politiques et des journalistes), la Nature ne recherche jamais un équilibre, mais procède toujours par grandes oscillations. Nous avons illustré ce fait sur un exemple particulièrement simple et frappant : un jeu de pile ou face, ce qu'on appelle "marche aléatoire dans le plan". Bien entendu, la même évolution se produit, par exemple lorsque des espèces doivent se partager un territoire : il n'y a pas d'équilibre, mais alternance d'espèces dominantes. Les théories économiques, qui reposent sur la recherche d'un équilibre, sont fondamentalement erronées (et les économistes qui les professent sont fondamentalement inutiles).
Dans le cas du jeu de pile ou face, le théorème essentiel s'appelle "loi du logarithme itéré" ; il est dû au mathématicien russe Alexandre Khintchine, en 1924. C'est une loi de la Nature, au même titre que la gravitation ou la relativité généralisée, même si Khintchine n'est connu que d'un cercle étroit de spécialistes.
La démonstration, que nous avons rendue quantitative et que nous avons précisée, est extrêmement difficile, parce que les lois de la Nature ne sont jamais simples. Il est très possible aussi que l'arsenal mathématique déployé ne soit pas le meilleur possible : il faudrait travailler davantage pour construire un cadre plus approprié.
Quoi qu'il en soit, on constate ceci : à partir d'un cadre axiomatique très élémentaire (pile ou face), on parvient à démontrer une loi de la nature, concernant l'évolution des gains des joueurs. En physique, on ne parvient jamais à démontrer une loi : on l'accepte parce qu'elle semble décrire la réalité. L'énoncé de la loi du logarithme itéré est extrêmement précis et remarquable en soi.
En 1927, au congrès Solvay, Einstein (qui avait des difficultés avec la mécanique quantique) a affirmé "Dieu ne joue pas aux dés". Eh bien si, et le jeu de dés obéit à la loi du logarithme itéré, que Einstein aurait pu chercher à comprendre. Il ne l'a pas fait ; tant pis pour lui.
Nous avons présenté une application qui intéresse toute entreprise industrielle. Supposons un lot d'objets (par exemple des radiateurs électriques) qu'il faut tester avant mise sur le marché. On choisit un échantillon au hasard et on teste les éléments choisis. Selon que le test sera fait en séquentiel (on teste les éléments les uns après les autres) ou en global (on attend d'avoir fini pour publier les résultats), les chances de succès, c'est-à-dire l'approbation par les autorités de sûreté, ne seront pas les mêmes ; dans notre exemple elles étaient de moins de 60% dans un cas et de plus de 80% dans l'autre, et tout ceci pour les mêmes appareils et le même test : seule la présentation diffère !
On entend souvent dire : sur toutes ces questions, il y a des normes, qui résultent de directives, de règlements, de lois, et en définitive d'un consensus démocratique ; il suffit de s'y conformer.
A ceci, la réponse est simple. Il y a des usines, parfaitement certifiées, qui ont parfaitement explosé ; des zones réputées non inondables qui sont inondées et des tsunamis, présentés comme impossibles par les experts, qui se produisent tout de même. Le vieillissement des matériaux relève aussi des lois de la nature, de même que la fiabilité des composants. Vous avez parfaitement le droit de vous entendre, d'organiser un consensus et même une unanimité d'experts, de journalistes, de politiques, pour assurer que telle situation est sous contrôle ; si la nature en décide autrement, vous allez prendre des baffes ! Le rôle du mathématicien est de vous en prévenir, maintenant si vous aimez les baffes, cela vous regarde !
Il faut préciser ici ce qu'on entend par "loi de la Nature" et ce qu'on entend par "baffe". La plupart des gens ont une idée fondamentalement religieuse : tout péché mérite châtiment. On a vu des paysans prier pour que le volcan cesse son éruption ; par le passé on sacrifiait des génisses à la déesse pour faire pleuvoir ; plus récemment on a voulu mettre en place des écotaxes pour limiter les émissions de CO2. Les gens s'imaginent que tout événement naturel, par exemple une variation du climat, résulte de leur activité, présentée comme fautive.
En réalité, la Nature se moque complètement de ce que peut faire l'espèce humaine, mais elle a ses lois. Lorsqu'on les transgresse, on reçoit des "baffes", non pas au sens "châtiment", mais au sens "dommage que l'on s'inflige à soi-même". Prenons des exemples simples pour faire comprendre ceci à ceux qui ne croient pas aux baffes.
Il apparaît que les biocarburants fournissent moins d'énergie que les combustibles fossiles : c'est une première loi de la Nature, qui résulte de formules chimiques. Il apparaît aussi que, pour les cultiver, il faut des étendues de terrain qui pourraient être utilisées pour nourrir l'espèce humaine, seconde loi. L'introduction des biocarburants s'est traduite par une diminution des terres cultivées, une hausse des prix des matières premières et quelques centaines de millions de gens se sont trouvés sous le seuil de pauvreté : ceci s'appelle une baffe. Soit dit par parenthèse, depuis 150 ans que la race humaine exploite les carburants fossiles, la Nature n'a donné aucun signe de mécontentement ; elle en donne beaucoup depuis que nous nous intéressons aux "énergies renouvelables".
Second exemple : les émissions de polluants ou de CO2, sur une distance donnée, ne s'accroissent pas avec la vitesse : c'est une loi de la nature, même si tous les politiques et les journalistes croient le contraire. Par conséquent, si on limite la vitesse, on accroît les rejets de polluants et de CO2 et on limite l'activité économique. Ceci s'appelle une baffe. Nous en avons beaucoup d'autres à votre disposition et nous nous en réjouissons d'avance : "Quos vult perdere, Jupiter dementat".
Bernard Beauzamy