Climat, OGM, énergies, nutrition : vrais enjeux, fausses alarmes
Climat, OGM, énergies, nutrition : vrais enjeux, fausses alarmes
par Jean de Kervasdoué
Né à Lannion en 1944, Jean de Kervasdoué est un ancien élève de l’Institut National Agronomique et de l’école du génie rural des eaux et des forêts (il est ingénieur agronome, et ancien membre du corps des ponts et des forêts) ; il l’est aussi de l’université Cornell -USA (où il a obtenu un MBA et un doctorat en socio-économie). Titulaire, en 1997, de la chaire d’économie et de gestion des services de santé du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et fondateur en 2008, de l’école Pasteur/CNAM de santé publique, il a occupé plusieurs postes importants de la haute fonction publique, dont celui de Directeur des hôpitaux (de 1981 à 1986). Il est aujourd’hui professeur émérite et membre de l’académie des technologies.
Pendant deux ou trois heureux siècles, les mots « progrès » et « science » furent indissociablement accolés. Comme des synonymes d’un même langage vertueux et maitre-mots d’un projet de société républicaine. Aujourd’hui, ils soulèvent une méfiance grandissante et sont curieusement remplacés par le terme d’ « innovation », mot qui jouit certes d’une connotation positive, mais dont on ne sait pas trop à quoi elle s’applique et en quoi la nouveauté serait justement un progrès.
La rapidité des évolutions technologiques de ces dernières années a contribué à la confusion d’un public noyé sous la masse d’informations partielles et contradictoires. Pour certains, la science fait peur et les oppositions les plus irrationnelles se dressent devant des avancées majeures en termes de santé, d’énergie ou d’alimentation. L’enjeu est de taille : il concerne à la fois la société que nous voulons bâtir et la place de la France dans le concert mondialisé du 21ème siècle.
Le mariage de la science et du progrès remonte aux premiers temps de la Renaissance, quand quelques pionniers ont élaboré les principes de la démarche scientifique. Certes, la science existait déjà - les Grecs, pour ne citer qu’eux, avaient découvert des principes essentiels de géométrie, de mathématiques et même, de physique. Mais la science, alors, ne se pratiquait pas de manière forcément scientifique. La théorisation abstraite ou l’empirisme dominaient.
Nicolas Copernic, chanoine de son état, fut l’un des premiers à retenir une hypothèse parce que c’était elle qui expliquait le mieux les longues observations empiriques qu’il avait relevées en mesurant des décennies la trajectoire de la planète Mars. L’association entre démarche abstraite et mesures empiriques lui donnait la force de remettre en cause la vision du monde et la place de la Terre. Ce n’était pas une mince affaire et Copernic avait si bien conscience de la portée de sa découverte et de ses conséquences qu’il demanda que l’on ne publiât ses travaux qu’après sa mort !
D’autres savants illustres - Galilée, Descartes, Pascal- vont marcher dans ses brisées et se battre pour expliquer que la religion et la science ne peuvent être placées sur le même plan. C’est Blaise Pascal qui va le mieux, à mes yeux, souligner cette essentielle séparation des « ordres ». Les valeurs de la société ne sont pas celles du savoir qui ne sont pas celles de la religion. Elles sont dans des espaces, dans des paradigmes différents. Ainsi, quand le père Noël, célèbre dominicain de l’époque, lui déclara que la notion de vide que Pascal venait de découvrir était la négation de l’existence de dieu, Pascal tenta - sans succès - de lui démontrer qu’il ne parlait pas de religion, mais du poids de la colonne d’air qui explique la montée du mercure dans le tube de Torricelli jusqu’à un certain niveau et qu’au-dessus, effectivement il n’y a plus rien, que du vide.
Séparer les ordres n’a jamais été facile, même Einstein s’aventura sur ce chemin de traverse. Quand lui fut présenté le principe d’indétermination d’Heisenberg, à savoir que l’on ne peut pas mesurer à la fois la vitesse et la position d’un électron, Einstein dit : « Dieu ne joue pas aux dés !». Niels Bohr lui répliqua : « Einstein, cessez de dire à Dieu ce qu’il doit faire ! »
La conquête de la méthode scientifique se fit dans la douleur, certains en perdirent la vie, d’autres émigrèrent pour fuir la toute-puissance religieuse, mais ces hommes réalisèrent quelque chose de remarquable : ils inventèrent une nouvelle manière pacifique de trancher des conflits. Il y avait les tribunaux, il y a maintenant aussi la méthode scientifique.
On peut émettre toutes les hypothèses que l’on veut, on peut être en total désaccord – et les scientifiques le sont souvent – mais il y a un juge accepté par tous et qui indique que la « bonne » théorie est celle qui explique le mieux les données expérimentales. En cas de désaccord c’est l’expérience qui tranche et la communauté avance sur ces bases. C’est ainsi que Lavoisier a pu démontrer que « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme » ou que Pasteur a pu convaincre qu’il n’y avait pas de génération spontanée des microbes.
Depuis les années 1750, la révolution industrielle conjuguée à l’essor des sciences a permis de connaître un cycle de progrès ininterrompu. Sous nos latitudes, la disette, autrefois endémique, a reculé, pour finir par disparaître tout à fait. L’espérance de vie a doublé en moins de deux siècles… . On peut dire que, dans une large mesure, l’esprit des Lumières a atteint ses objectifs. Pendant quelques décennies, la raison l’a emporté sur les émotions et nous en avons tous été les bénéficiaires.
Pourtant, dans les domaines où existe un savoir factuel, empirique, des croyances contemporaines perdurent - voire se renforcent – sans aucun fondement, alors qu’il est si facile de les vérifier. De très nombreux Français sont convaincus que les légumes qu’ils achètent sont dangereux pour leur santé du fait de la présence de traces infimes de pesticides, d’autres pensent que l’eau est rare, que les nouveaux moteurs diesel empoisonnent l’air qu’ils respirent ou que les centrales nucléaires font courir à la population des risques insensés, alors qu’elles ont été les moins dangereuses de toutes les formes d’énergie depuis 70 ans et de loin !
Au nom de ces convictions, des règles s’imposent à des professions, des entreprises, voire à la Nation toute entière. Les gouvernants surfent sur ces croyances et sondent l’opinion, non pas pour la faire évoluer, mais pour la suivre. Sophistes, la vérité les intéresse peu, ils ne cherchent qu’à capter des votes et pour cela tentent de savoir ce que leurs électeurs potentiels pourraient penser. Seule l’opinion compte pour conquérir le pouvoir et y demeurer.
Les Français ne croient plus au progrès. Plus grave encore, le Parlement ne se contente plus de son rôle de législateur, mais s’attribue des compétences d’historiens en votant des lois mémorielles ou une légitimité scientifique en interdisant en France la fabrication d’un produit chimique (le bisphénol A), sous prétexte de sa dangerosité.
Quand on écoute les relais médiatiques et politiques de l’opinion, on entend que les Français souhaiteraient que le vrai soit juste et l’incertain probable. Chacun se déclare « expert ». La confusion règne et avec elle les sophistes. Outre le fait de suivre l’opinion pour être populaire, voire élu, y-a-t-il d’autres raisons à cette déraison ? Et par ailleurs, qui structure cette toute puissante opinion ?
La raison n’a pas capitulé, mais elle est submergée par l’émotion, au point qu’on pourrait croire que c’est elle, désormais, qui gouverne notre vivre ensemble. Sous son influence, nous en revenons à une totale confusion des ordres quand, par exemple, le Parlement en vient à voter des lois mémorielles (son rôle n’est pas de se substituer aux historiens) ou des lois scientifiques (sur la pollution atmosphérique, les néonicotinoïdes, etc.) or la légitimité démocratique ne donne, que je sache, aucune compétence scientifique ! Si les académies sont légitimes pour trancher ces controverses, ce n’est pas le cas du Parlement.
Je ne suis pas « scientiste », c’est-à-dire que je ne pense pas une seconde que l’ordre scientifique soit le seul. Si le progrès scientifique a permis d’accroître très sensiblement l’espérance de vie des êtres humains, il ne dit rien de la manière de vivre. Elevé dans la religion catholique, je considère que l’ordre de la religion a sa place dans la société, en revanche je suis persuadé que le vivre ensemble, ne peut pas se limiter à l’émouvoir ensemble. Or, nous sommes aujourd’hui noyés, par des flots d’émotion dont nous ne pouvons rien faire sinon, précisément, nous émouvoir et nous émouvoir encore, sans analyser, sans comprendre.
Les scientifiques pâtissent, à plus d’un titre, de cette émotion et de cette médiatisation forcenée qui ressuscitent des peurs irrationnelles. Comme celles liées à la sécurité alimentaire. Si en 1900, 14% des décès étaient dus à des empoisonnements alimentaires, il n’en existe plus aujourd’hui, tout au plus quelques « accidents » isolés pour lesquels je n’ai pas d’exemple récents en mémoire, à l’exception de quelques produits « bios » qui firent quelques morts en Allemagne et quelques malades dans le sud-ouest. Pourtant la confiance qu’ont les Français dans ce qu’ils mangent est inférieure à celle des Anglais, mais aussi celle des Brésiliens et … des Chinois !
Ces peurs irrationnelles ont pour effet de précipiter une frange de la population vers des pseudos-sciences qui font aujourd’hui florès comme autrefois l’alchimie, je pense, notamment, à l’homéopathie, à la naturopathie ... La mode est au « bio », aux « sans » : sans gluten, sans sucre, sans sel, sans arachides sans …rien ! Et c’est plus cher ! Les peurs alimentaires renaissent et nourrissent des commerces pour des bienfaits le plus souvent inadaptés et toujours hypothétiques.
Longtemps, les scientifiques ont choisi de s’abstenir de répondre à des arguments qu’ils jugeaient être de la plus extrême bêtise. Ils pensaient que c’était, pour eux, une totale perte de temps. Aujourd’hui que l’opinion est formée, alors que se structure un savoir parallèle, ils se rendent comptent qu’il est bien tard pour sauver en France tous ceux qui produisent qu’ils soient agriculteurs ou industriels.
Quant à la nature du débat scientifique, ils en ignorent les principes, pire encore : ils sont caricaturés. Prenons l’exemple - ô combien sensible - du réchauffement climatique, domaine pour lequel je n’ai aucune expertise particulière, mais beaucoup d’intérêt. L’Académie des sciences a débattu de l’origine anthropique ou non de ce réchauffement. Le Monde, journal supposé de référence, présente une version caricaturale de certains débatteurs, mais ne dit jamais rien du débat et donc des arguments chiffrés de ceux qui nuancent, voire réfutent la thèse dominante. Je ne suis ni « réchauffiste », ni « climatoseptique », je dis simplement que les contre-arguments doivent être exposés et certains chiffres doivent être connus, comme ceux qui indiquent que le réchauffement global de la planète s’est stabilisé entre 1998 et 2014, avant de repartir à la hausse en 2015.
Le débat sur la mesure est fascinant et ne va pas de soi pour de très nombreuses raisons, mais notamment parce que les températures étaient relevées depuis le 19ème siècle dans des jardins publics qui étaient alors à la limite des villes. Puis, l’urbanisation s’est développée, a entouré ces jardins et modifié la mesure. C’est typiquement le cas, à Paris, du parc Montsouris. Bref, la question du réchauffement et de son ampleur et plus encore celle de savoir s’il a précédé les rejets massifs de gaz à effet de serre ou l’inverse, sont des questions qui méritent plus d’attention et de gravité que les anathèmes qu’on se jette aujourd’hui à la figure.
Et quand le débat scientifique n’est pas ridiculisé, il est suspecté ou vilipendé. Je pense à cette anecdote récente - mars 2016 - d’un médecin pneumologue-allergologue défendant l’innocuité du diesel et montré du doigt pour ses liens supposés avec une multinationale du pétrole. Son cas n’est pas isolé : c’est désormais une antienne récurrente que de « dénoncer » les liens de tel ou tel scientifique avec l’industrie - qu’elle soit chimique, agro-alimentaire ou pharmaceutique. Il est vrai que c’est plus facile que de répondre à des arguments.
On trouve, dans tous les comités d’experts scientifiques, des personnes qui travaillent aussi pour des entreprises. Où est le mal ? Qu’y a-t-il de répréhensible à ce que d’éminents scientifiques collaborent à des industries privées dans leur domaine de compétence ? Qui le ferait ? Des incompétents ? Le problème des conflits d’intérêt, ce n’est pas de savoir s’ils existent, mais de savoir s’ils sont exercés. On a tous des conflits d’intérêts, à commencer par les militants des ONG ! Quant aux personnes sans conflit d’intérêt, par essence elles sont sans intérêt.
Certes, nous vivons une époque de changements accélérés. L’impact des technologies de communication et la puissance sans cesse grandissante des ordinateurs transforment le monde. De nouveaux métiers se créent, d’autres disparaissent. La vie privée est menacée. Les biotechnologies bouleversent la médecine et l’agronomie pour le meilleur, ce pourrait aussi être pour le pire. Nous sommes loin, encore, d’avoir vu toutes les conséquences. Je reconnais ce que ces changements peuvent avoir d’inquiétant autant que de fascinant, mais il n’y a là rien de particulièrement nouveau.
Faut-il rappeler l’allégorie de la langue d’Esope, cet esclave grec qui vivait avant Jésus-Christ et père de tous les fabulistes ? Son maître, qui recevait des amis à dîner, lui avait demandé de ne leur prodiguer que ce qu’il y avait de meilleur. De l’entrée au dessert, Esope ne servit que de la langue, jusqu’à en dégoûter les convives. Interpellé par son maître, Esope répondit : « Hé, qu’y a-t-il de meilleur que la langue ? C’est le lien de la vie civile, la clé des sciences, l’organe de la vérité et de la raison ». Le lendemain, son maître, qui voulait le mettre à l’épreuve, lui demanda de servir ce qu’il y avait de pire. Esope racheta de la langue : « C’est la mère de tous les débats, la nourrice de tous les procès, la source des divisions et des guerres, de la calomnie et des mensonges ». Plus près de nous, l’Américain Roy Lewis nous a livré, en 1960, un petit roman délicieux, Pourquoi j’ai mangé mon père, une histoire savoureusement anachronique de progressistes et de réactionnaires au temps où l’humanité commençait de domestiquer le feu, dans lequel il nous interrogeait avec humour sur nos débats de la société moderne à propos, notamment, des techniques et du progrès.
Malheureusement, les interrogations légitimes d’hier tournent aujourd’hui à l’anathème systématique. J’en veux pour preuve la question des OGM abordée en France avec un mélange de mauvaise foi, d’ignorance et de peur, qui nous a conduits à une situation absurde.
Si la transgénèse a été inventée à la fin du 20ème siècle, la sélection génétique n’est pas apparue avec les premiers épis de maïs génétiquement modifiés. L’homme a découvert l’agriculture il y a environ dix mille ans, dans le « croissant fertile » entre les fleuves Tigre et Euphrate et cette invention constitua une étape majeure de notre histoire, puisqu’elle permit la sédentarisation de peuplades entières. Or, qu’est-ce que l’agriculture, sinon une sélection des meilleures plantes adaptées aux meilleurs sols et une sélection des meilleures bêtes adaptées à la meilleure utilisation qu’on veut en faire (lait, reproduction, viande) ? En d’autres termes, l’agriculture repose, depuis ses débuts, sur la sélection génétique, autrefois elle était aveugle, elle est aujourd’hui guidée, rationnelle.
De même, notre principal animal de compagnie, le chien, est-il le résultat de sélections (« manipulations » ?) sur le loup, dont les premières traces se perdent dans la nuit des temps. N’importe quel golden retriever ou caniche est un animal génétiquement modifié. Les mutations génétiques sont aussi fréquentes que « naturelles ». Tout être humain est un OGM car, au cours de toute division cellulaire se produisent des mutations, chaque gamète est donc différente de sa voisine et tout œuf fécondé est unique. Soulignons d’ailleurs que s’il n’y avait pas de mutation, il n’y aurait pas d’évolution et nous serions, au mieux, des êtres unicellulaires, nageant quelque part dans une soupe aqueuse ! Outre l’appariement aléatoire des gènes parentaux au moment de la création de l’ovule ou du spermatozoïde, chaque être humain est donc aussi le produit d’une centaine de mutations génétiques aléatoires. La seule différence, avec une plante OGM, c’est que pour chaque être humain on ignore les gènes qui ont muté (encore que la connaissance du génome de chaque individu permette de le savoir), alors que pour la plante ou l’animal génétiquement modifiés la mutation est connue et choisie.
L’autre différence, bien sûr, c’est que pendant des siècles et même des millénaires, la transgénèse n’était qu’empirique - pour la bonne raison que l’existence des gènes était inconnue. C’est un peu comme les acariens : avant l’invention du microscope, nous ne nous doutions pas de la « population » qui grouillait dans nos literies. Maintenant que nous le savons, certains s’affolent et s’épuisent à « aseptiser » leurs draps en pure perte, faut-il le souligner, sinon pour le plus grand profit de l’industrie chimique. Les gènes sont des briques du vivant qui n’agissent que dans certaines conditions.
Quand vous mangez du pain, vous mangez des gènes de blé et vous ne vous transformez pas en épi pour autant. Quand vous mangez un steak tartare, vous mangez des gènes de bœuf et vous ne devenez pas vache, il en serait de même de tout grain d’une plante OGM dont, de surcroît, le gène est dormant.
Un mélange détonnant d’ignorance et d’obscurantisme a abouti à ce paradoxe : les Français s’enthousiasment chaque année pour le téléthon et donnent plusieurs dizaines de millions d’euros qui serviront à des manipulations génétiques, alors qu’ils ont une angoisse viscérale de la transgénèse végétale ! Cependant, il faut avoir conscience que le discours « hystérique », il n’y a pas d’autre mot, qui s’est emparé, en France, des OGM, nous a occasionné un retard difficilement rattrapable.
Tout cela m’évoque une histoire, paraît-il véridique. Une comtesse italienne qui recevait après un de ses concerts Toscanini à sa table, lui dit : « Maître, ce soir le concert était merveilleux mais, malheureusement, vous savez que je n’aime pas Beethoven ». Toscanini lui répondit : « Madame, cela n’a aucune importance». Le fait que la France tourne le dos aux OGM n’a aussi aucune importance pour l’histoire de l’humanité qui se joue ailleurs. Car, aujourd’hui, la messe est dite : 90% du soja cultivé dans le monde est OGM. Ces plantes génétiquement modifiées se développent partout et la France a tout perdu : une recherche, une industrie et, bien entendu, nous importons du soja OGM, du coton OGM …. Et nous pénalisons nos agriculteurs qui perdent environ 200 € à l’hectare, sans compter que nos grains de moins bonne qualité se vendent plus difficilement sur le marché mondial.
S’il n’y avait que les OGM ! La France, qui a joué un rôle très important dans les industries qui ont marqué le début du vingtième siècle - le cinéma, l’aviation, l’automobile - s’isole dangereusement des nouvelles révolutions technologiques de ce vingt et unième siècle. Avec, en plus, la prétention que cet isolement « exemplaire » pourrait avoir un effet sur le cours de l’histoire comme pour le moratoire sur les cellules souches qui était une hérésie. Les équipes françaises qui travaillaient sur ce sujet ont quitté le pays, le Président Chirac a refusé de répondre à la demande exprès de certains scientifiques ; les recherches se font ailleurs.
Bien que cela soit d’un autre ordre, tout récemment, le 17 mars 2016, 130 médecins et biologistes, emmenés par le professeur René Frydman, ont dû se livrer à une initiative éthique et médicale inédite en reconnaissant, dans une tribune publiée par Le Monde, « avoir aidé et accompagné des couples et des femmes célibataires dans leur projet d’enfant dont la réalisation n’était pas possible en France ». Un tel aveu les expose en principe à des poursuites judiciaires, mais ces scientifiques ont voulu ainsi placer la France « devant ses responsabilités et ses incohérences ». Au nom d’une curieuse pudibonderie républicaine, le gel du dossier de la procréation assistée contraste avec ce qui se passe chez nos voisins belges ou espagnols. Les frontières sont ouvertes, les femmes voyagent, mais – en principe – les médecins ne doivent pas leur dire où elles peuvent se rendre !
Pourquoi ? On voit bien qu’ordre écologiste - au nom d’une nature mythifiée - et ordre religieux - au nom d’une définition prétendument universelle de la nature humaine - se retrouvent dans le choix des arguments et dans la manière de conquérir l’opinion et donc le pouvoir. Ce refrain de la « bonne » nature est ancien et remonte à Rousseau, lequel s’est trompé sur tout. L’histoire de l’humanité est, depuis ses débuts, un combat contre la nature qui ne nous attendait pas. C’est précisément parce que l’homme s’est affranchi de l’asservissement de cette nature qu’il a été en mesure d’édifier des civilisations. En France, plus aucun paysage n’est « naturel » depuis au moins la fin du Moyen-Age. Et, à Notre-Dame-des-Landes, les « zadistes » défendent une « nature » qui n’est que la trace d’une France agricole de l’ouest, il y a un demi-siècle.
Pourtant, l’écologie politique continue de faire des ravages et sa perversion intrinsèque contamine tout discours sur la science et le progrès. De l’écologie, la vraie, cette science du vivant suffisamment complexe pour qu’elle ne puisse pas se résumer à quelques formules à l’emporte-pièce, nous ne parlons jamais, ou très peu. Sinon, tout le monde serait pour le nucléaire, l’énergie, de loin, la moins polluante, qui ne rejette pratiquement pas de gaz à effet de serre et est par ailleurs la moins dangereuse. Le problème, c’est que l’écologie a été accaparée par des idéologues qui ont accouché de l’écologie politique, laquelle n’a plus rien d’écologique, mais tout de politique. Un peu comme le marxisme qui, à partir d’une analyse historique des rapports économiques dans les premiers temps de la révolution industrielle s’était érigé en système politique au nom d’une prétendue « science ». On sait ce que cela a donné. Cela dit, l’écologie politique n’aurait sans doute pas aussi bien proliféré si nous avions mieux domestiqué notre croissance urbaine. Aujourd’hui, près de 80% de la population française vit dans des villes et cette proportion est encore appelée à augmenter dans les décennies qui viennent. Si notre « désir de vert », légitime en soi, était satisfait par une meilleure conception urbanistique, nous ferions probablement l’économie de certains discours aberrants. Il suffirait de prendre exemple sur la Suède ou l’Allemagne qui ont su mieux marier ville et campagne.
Quant aux questions écologiques, que l’on ne se méprenne pas : il existe de sérieux problèmes de cet ordre. L’homme ne maîtrise pas toujours, loin s’en faut, les conséquences de ses activités sur la nature. Il suffit pour s’en convaincre de voir les ravages de l’urbanisation sur les campagnes et les rivages de certaines villes du sud de la planète. Toutefois, ces transformations ne sont pas toujours irréversibles, comme le prouve l’exemple de « l’algue tueuse ».
Appelée aussi « peste verte », de son vrai nom Caulerpa taxifolia, cette algue originaire d’Australie, très prisée des aquariophiles, avait été rejetée par erreur, en 1984, dans la Méditerranée par le Musée océanographique de Monaco. Elle s’y livra rapidement à une opération massive « d’invasion biologique », en raison de sa rapidité à se reproduire et à supplanter les autres algues, plus petites, privant plusieurs espèces de poissons de leurs « nurseries » naturelles pour alevins. Bref, un cycle infernal s’était mis en place, qui se développait à grande vitesse : au bout de quelques mois, l’algue tueuse avait déjà colonisé un hectare, puis deux mille hectares au tournant des années 1990 et 15 000 hectares à celui des années 2000. Rien ne semblait pouvoir arrêter sa progression mortifère. Elle a pourtant commencé de régresser à la fin des années 2000, au point qu’on évoque aujourd’hui sa possible disparition. Si les scientifiques n’ont pas trouvé la clé du mystère, l’une des explications possibles serait la dégénérescence génétique de la plante, due à la pauvreté des échantillons de départ (obtenus par bouturage). Bref, en l’occurrence, ce que l’homme avait accidentellement provoqué, a été réparé par l’écosystème, toujours en équilibre dynamique et non pas statique.
Il existe cependant des phénomènes plus inquiétants que l’algue tueuse. La croissance démographique dans certaines régions du globe menace la forêt tropicale et ceux qui y vivent. Les zones de transhumance des grands animaux de l’Afrique de l’est sont menacées, la surpêche met en danger certains espèces et fonds sous-marins. Qui peut agir ? L’ONU ? Qui peut empêcher les Kenyans de planter des légumes et des fleurs sur ces plaines fertiles où vivaient éléphants, lions, zèbres et gazelles ? Qui arrêtera à Bornéo ou en Amérique latine la destruction de la forêt équatoriale ? Qui financera les infrastructures en adduction d’eau, en égouts, en ramassage d’ordures des villes du sud ? Les enjeux sont autrement importants que de s’hystériser à vouloir empêcher la construction d’un stade de football pour défendre une sous variété d’escargots. On a envie ici de paraphraser le général De Gaulle : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant écologie ! Ecologie ! Ecologie ! Mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je répète, il faut prendre les choses comme elles sont. "
La démonstration pourrait se poursuivre à l’infini. Je me contenterai de terminer par un dernier point - la pollution atmosphérique - qui me permettra de soulever la notion du rapport coût-bénéfice. Sous la 3ème République et, disons, jusqu’à l’après-guerre, l’image d’Epinal du « progrès », qu’on trouvait dans tous les manuels scolaires, représentait invariablement un panorama avec des montagnes, des rivières et des champs, sillonnés de voies ferrées avec leurs locomotives crachant leur panache de fumée, parsemés çà et là de cheminées d’usines qui crachaient, elles aussi, des volutes de fumée bien noire. Aujourd’hui, toute activité industrielle qui rejette des fumées dans l’atmosphère est, à juste titre, considérée comme polluante. La voiture pollue. Un bon feu de cheminée pollue. Nos villes sont polluées. Et celles de Chine plus que les autres - ce qui est une manière de pointer le dragon économique de la planète en mauvais élève de l’écologie.
Que l’atmosphère des villes chinoises soit très polluée, c’est un fait. Mais si on parle de l’air des villes chinoises, il faut aussi rappeler que les Chinois ont gagné 36 ans d’espérance de vie en l’espace d’un demi-siècle, qu’ils ont dit adieu à la famine, que leur système de santé se développe à une allure prodigieuse, et tout cela, malgré la pollution. Bref, il est impossible d’ignorer le lien subtil entre économie et santé. A un certain degré, la pollution abrège des vies, mais elle est aussi le signe d’un pays en développement dont les nouvelles infrastructures sanitaires et sociales vont permettre d’épargner ou de prolonger d’autres vies, et en beaucoup plus grand nombre.
En France, on exagère les chiffres de mortalité par pollution atmosphérique. Ils ne reposent que sur des calculs éminemment contestables. Le tabac, que je sache, tue bien davantage que les gaz d’échappement automobiles. Je suis moi-même asthmatique, et je « sens » très bien les variations de pollution, d’un jour sur l’autre, dans les rues de Paris. Mais, pour l’heure, je ne suis pas encore mort par la faute de la pollution et, pour les gens comme moi, le printemps est souvent bien plus redoutable que la circulation automobile. Dieu merci, aucun imbécile n’a encore suggéré d’abattre tous les arbres pour empêcher qu’ils ne lâchent leurs pollens dans l’atmosphère.
Là encore, qu’on ne se méprenne pas. Je ne dis pas que la pollution atmosphérique est inoffensive - à certaines doses, elle devient effectivement dangereuse pour l’organisme -, mais dans le cas de la Chine - ou de l’Inde, autre grand pays émergent - le rapport coût-bénéfice de la pollution penche de manière écrasante du côté du bénéfice jusqu’au jour il devient le facteur limitant et le pays décide à juste titre de s’y attaquer à l’instar du « Fog » de Londres si présent dans les années 1950 et qui a aujourd’hui disparu. Et ce qui vaut pour la pollution vaut pour toutes les facettes du progrès : nouvelles thérapies, meilleurs rendements agricoles, nouveaux médicaments, etc. Il y a toujours un rapport coût-bénéfice. Notre erreur, aujourd’hui, est de nous focaliser sur le seul aspect « coût », ce qui nous paralyse. Et c’est d’autant plus absurde que, au quotidien, nous fonctionnons beaucoup, certes inconsciemment, selon ce rapport coût-bénéfice.
J’ai évoqué, plus haut, quelques-unes des raisons à l’origine de la « déraison » qui semble aujourd’hui gouverner notre rapport à la science et au progrès, au premier rang desquelles la tyrannie de l’émotion, encouragée aussi bien par l’importance grandissante des médias d’information en continu que par une nouvelle confusion des ordres. Mais il est aussi une autre raison, tout aussi regrettable : le manque criant de diversité de notre classe politique. A droite comme à gauche, la politique, en France, est désormais phagocytée par des « professionnels ». Ce phénomène va en s’aggravant. En 1981, au moment de la première victoire de la gauche sous la Vème République, la quasi totalité des nouveaux députés et des membres des cabinets gouvernementaux avaient exercé un métier. Aujourd’hui, 38% des députés du groupe socialiste à l’Assemblée nationale sont des anciens attachés parlementaires. Et le gouvernement - pas plus l’actuel que probablement celui de demain - ne compte en son sein d’ouvrier, de patron, de chercheur, d'ingénieur,, de militaire ou de médecin.
Marion Monti, l’ancien commissaire européen et ancien président du Conseil italien, faisait remarquer, dans une discussion, que chez les huit dirigeants chinois importants, sept étaient des ingénieurs. Tout est là : alors que les ingénieurs, au moins, traitent de la réalité, notre élite est purement sophistique, n’ayant jamais fait que des études de droit ou de lettres.
Une autre coupure très grave, et profonde de conséquences, est celle qui sépare désormais le monde agricole du reste de la société. Je suis né en 1944, mes parents ont connu le manque durant la guerre (les tickets de rationnement ont duré jusqu’en 1953 !) et j’ai été élevé dans une petite ville bretonne où tout le monde savait parfaitement ce qu’était l’agriculture, une poule, un coq, un cochon. A l’époque, les agriculteurs représentaient encore 40% de la population active : on les connaissait, on les respectait et on avait une idée de la dureté de leur tâche.
Aujourd’hui, nos enfants et petits-enfants ignorent tout de ce monde et ils doivent gérer la pléthore ce qui les angoisse. Alors que j’ai mangé pour la première fois une mangue à 21 ans (au Niger) et un avocat à 25 ans (en Californie), tous les produits des cinq continents sont aujourd’hui présents au coin de la rue, trois-cents soixante-cinq jours par an. Or, quand le principal souci est de choisir ce que l’on va acheter et ce que l’on va manger (notre civilisation est bel et bien devenue une civilisation « d’abondance ») et que les agriculteurs ne représentent plus que 3% de la population active, la société privilégie le consommateur, le producteur ne compte pas. Le problème n’est plus de se nourrir, mais de choisir et tout choix crée une angoisse profonde. Ainsi, au mieux, on méconnait les agriculteurs, au pire on projette sur eux le fantasme d’une nature qui n’a jamais existé mais qui leur impose des conditions de production drastique qui poussent nombre d’entre eux au désespoir.
L’homme est un omnivore, en bon omnivore, il se méfie de tout ce qu’il mange. Du fait de l’abondance, cette méfiance, loin de diminuer, s’est au contraire amplifiée d’autant qu’apparaissent les conséquences fâcheuses d’une nutrition inadaptée : anorexie, obésité, diabète, et le consommateur tente alors de faire porter aux agriculteurs les conséquences de ses choix quotidiens.
Face à toutes ces déraisons, les scientifiques ont perdu, ces dernières années, de leur « légitimité ». A l’inverse, l’action de diverses ONG prétendant combattre les dérives du système en matière d’écologie, d’énergies, de sécurité alimentaire, etc. est valorisée. Je suis toujours étonné de voir que personne ne semble s’interroger sur la légitimité de ces ONG, ni se demander, par exemple, qui les finance ? Mais de même que peu de journalistes sont tentés par l’investigation en ce domaine, ils sont encore moins nombreux à être capables de vraiment comprendre la littérature scientifique. D’où les approximations, caricatures et chantages à l’émotion que l’on nous sert quotidiennement et qui sont d’autant plus facilement « avalés » que la plupart de nos contemporains ne possèdent même pas les notions de biologie de base - on se demande à quoi servent les cours de SVT (sciences de la vie et de la terre) dispensés à partir du collège.
Mais terminons sur une note plus encourageante. Les prévisions alarmistes du Club de Rome sur la croissance démographique et les besoins alimentaires se sont - heureusement – révélées fausses. Le nombre de personnes affamées dans le monde baisse en valeur absolue, comme en valeur relative. L’espérance de vie des pays du sud augmente en moyenne de quatre mois par an. La crise alimentaire n’a pas eu lieu parce que la croissance démographique a été surestimée et la croissance de la productivité de l’agriculture a été sous-estimée.
Quand j’ai terminé mes études d’ingénieur agronome, en 1966, un bon rendement en blé était de 40 quintaux à l’hectare. Nous en sommes à 100 quintaux à l’hectare et il existe encore des marges de progression. A eux seuls, les Américains étaient déjà capables en 1980 de nourrir 4 milliards d’êtres humains ! En d’autres termes, nous possédons les savoirs et les moyens techniques pour que la terre soit capable d’héberger 10 milliards d’êtres humains, voire davantage, et qu’ils puissent manger à leur faim. Mais il existe des guerres et si les riches du Nord regrettent, voire condamnent, les conséquences de l’urbanisation dans les pays du Sud, ils ne font pas grand-chose pour aider ces pays à maitriser ces profondes transformations et leurs conséquences écologiques.
Jean de Kervasdoué