Alambic City (history)
Durant tout l'hiver, c’est la même chose, il se lève chaque matin à partir de quatre heures. Encore endormi, il quitte son lit situé derrière les alambics. Il donne un coup d’œil sur le porte-alcoomètre pour y lire le degré du thermomètre et celui du poids, douze degrés celsius à cinq pour cent d’alcool. Il donne un coup sec sur la bascule avec son index. Les vibrations sèches d’un cuivre léger annoncent le départ des queues de brouillis qui couleront maintenant dans le bassin des secondes.
En se dirigeant vers le second alambic pour y répéter l'écho à la manière des canons chantés dans les églises, il se rappelle qu'il doit nettoyer les chaudières : « Penser à monter le gaz pour être prêt à seize heures ». Puis, il grimpe sur le massif et, du haut de l’alambic en tournant les vannes des chauffes-vins, observe son chien bailler. Il rejoint alors très vite son lit après avoir éteint les lumières agressives.
Cinq heures trente, le radio-réveil s'allume sur les ondes hertziennes grésillantes de France Inter mais c'est la langue baveuse de son chien dans son oreille qui le pousse hors du lit. En s'étirant, tout en poussant des sons étranges, il pense qu'il resterait bien encore un peu au lit ! Assis sur le rebord du lit, il enfile ses charentaises (lorsque celles-ci ne sont pas en train de se faire dévorer par son chien énervé) puis se lève pour couper le gaz. Les brûleurs s’arrêtent mais seule la flamme des veilleuses reste fière. Très rapidement, il enchaîne les gestes mécaniques et ordonnés : il ouvre le robinet d’évent duquel s'écoule un peu de vin et ses vapeurs légèrement alcoolisées. Ensuite, il tourne la vanne de la gargousse, la cucurbite se vide de son marc brûlant visible de la glace en pyrex. La couleur du marc est couleur sable, cette nuit, le vin distillé a été mis en œuvre avec des lies. Quelques minutes plus tard, après avoir rincer à l’eau l’intérieur du chapiteau et de la chaudière par une pompe de lavage, la chaudière est bientôt vide, il ne s’écoule presque plus rien à la gargousse. Alors, il tourne méthodiquement la vanne de vidange du chauffe-vin. A ce moment là, l’aspiration de l’air froid passe rapidement par le robinet d’évent en produisant un sifflement qui retient l’attention du chien (différence de température entre le vin et l’atmosphère brûlant de l’intérieur de la chaudière). Le sifflement passé, le distillateur ferme énergiquement la vanne de la gargousse et le chien sous la table s’endort à nouveau.
Durant le remplissage de la chaudière par simple gravité, notre distillateur s’empresse de laver les filtres des portes alcoomètres chargés de corps gras : le graillon de la lie du vin et son odeur si caractéristique qui s’incruste dans les doigts ! On peut ensuite entendre les chauffes-vin se vider « Ça y est o sup ! », il monte à l’échelle pour passer au jet d’eau l’intérieur du chauffe-vin. Après avoir refermé la vanne de vidange et repositionné correctement la vanne de détour, il descend du massif pour rallumer les brûleurs. Il remonte à nouveau sur le massif pour tirer les registres de la cheminée. Il allume ensuite à l’aide d’un briquet une bougie, ramasse la boite de conserve cabossée et y fait couler de la cire de bougie sur la ficelle de la boite qu’il colle sur le col de cygne au niveau de la baïonnette et de la vanne de détour. Lorsque les vapeurs d’alcool proches de 70°c arriveront au col de cygne, la cire en fondant provoquera la chute de la boite de conserve qui avertira le distillateur de réduire son feu. Cet automatisme infaillible est surnommé The French Technology au japon. Le bouilleur de cru un peu plus frais, redescend et augmente le gaz au pupitre. La charge de la chaudière faite, il est tranquille pendant une heure et demie, le temps de la mise au courant. Il reviendra plus tard remplir ses chauffes-vin.
En attendant, il décide, après tout ce sport matinal, d’aller prendre un bon petit déjeuner !
Texte 2003