Entre foie et loi
Les fêtes de fin d’année agrémentées de leurs traditionnels coups de fourchette autour d’une table généreuse et animée échappent rarement au rituel culinaire des huitres triploïdes, du foie gras de canard et de l'inévitable dinde aux marrons. Ces occasions festives et conviviales sont de très bons prétextes pour déboucher les meilleures bouteilles. Ainsi tous les éléments sont réunis pour participer à une ambiance de joie et de bonne humeur en compagnie de convives désireux de partager un bon moment.
Mais voilà, tout le monde ne l’entend pas de la même façon et vous trouverez toujours un rabat-joie pour vous culpabiliser de prendre part à cette indécente luxuriance et vous gâcher cette petite fête gastronomique entre amis. Un article paru dans le journal le Monde, daté du 23 décembre et écrit par la philosophe charentaise Corine Pelluchon, vise à interpeller notre conscience sur les conditions animales déplorables qu'engendrent nos sociétés de surconsommation, symptomatique d'un système capitaliste pervers.
C’est sous le titre alarmant « Jamais la condition des animaux n’a été aussi misérable » que la professeure de philosophie nous fait partager sa réflexion en tentant de démontrer que manger n’est pas un geste anodin et doit au contraire exprimer un acte éminemment éthique.
Un devoir moral de l'homme envers les bêtes plutôt qu'un droit de l'animal
Si je pense qu’il n’est pas raisonnable de donner des droits aux animaux, droits décidés et imposés par l’homme protecteur, en revanche je m’inscris dans l’idée que l’homme a bien un devoir moral envers les bêtes. Considérer certains comportements humains à l'encontre des animaux comme immoraux, inacceptables et condamnables par la société me parait suffisant pour répondre au respect et à la défense de la cause animale. Pourquoi vouloir donner des droits aux animaux ? Verrons-nous un jour, un lapin victime d’un mauvais traitement porter plainte contre un chasseur ? Peut-on imaginer des abeilles se liguer contre des apiculteurs exploiteurs, dénonçant un détournement de miel par l'organisation humaine ? La justice leurs laissera-t-elle la possibilité de les défendre dans un tribunal ? À l’évidence le gibier et l'insecte ne parlent pas, comment pourraient-ils manifester une quelconque volonté d'espérer obtenir gain de cause avec les lois humaines ?
Comme la philosophe, je n’ai jamais adhéré aux spectacles sanglants des corridas, cette culture m’échappe, pourtant, je ne militerais pas pour son interdiction, je pense qu’il y a des causes aujourd’hui plus préoccupantes. Je ne suis pas chasseur, et l’idée de tuer un animal est une initiative que ma sensibilité m’interdit. En revanche, lorsque mes cultures sont menacées par des sangliers ou des chevreuils indifférents au droit de la propriété privée, ma lâche émotivité se retrouve bizarrement amoindrie et relayée au second plan. Je n’éprouve alors plus de scrupule à réclamer de l’aide à mes amis chasseurs…
L’industrialisation des élevages peut choquer les consciences et on a tous en mémoire ces images insoutenables d’abattage à grande échelle où des bêtes sont exécutées à la chaine. Néanmoins, le cahier des charges, les normes de plus en plus exigeantes, intègrent de nouveaux critères du bien-être animal. Comment un philosophe ose-t-il prétendre que « jamais la condition des animaux n’a été aussi misérable » ? À l’évidence, ce combat d’érudit dont la propre condition matérielle ne semble pas être menacée, reste pour l’intellectuelle un engagement d’enfant gâté…
On pourrait continuer à débattre sur ce que notre société est prête à admettre, à tolérer, à accepter en terme de douleur animal et déterminer ainsi les limites du supportable par les bêtes au regard de l'homme. Mais ce sujet est trop complexe pour que je me risque à définir ces critères d’acceptabilité ou de refus de la souffrance animale commise sciemment par l'homme civilisé. Reconnaissons quand même que la société évolue et avec elle, les pratiques. Ce que l'on acceptait hier ne l'est plus aujourd'hui. J’en citerai deux. À la campagne, la traditionnelle « tuerie du cochon » tend à disparaitre, même si elle est toujours admise dans le cadre de la consommation familiale par ses éleveurs. Les éleveurs professionnels quant à eux sont tenus de commercialiser l’animal préalablement tué dans un abattoir, évitant ainsi au cochon de longs supplices infligés par les charcutiers amateurs du dimanche… Autrefois, les veaux sous la mère étaient attachés à une chaine d’une cinquantaine de centimètres et tétaient leur mère ainsi durant trois mois. Aujourd’hui, les règlements européens interdisent de tels usages. Que ce soit pour les poules pondeuses ou d’autres animaux d’élevage, des distances minimales de cloisonnement sont désormais réglementées. Le législateur contredit donc madame Pelluchon sur ce point, le bien-être animal progresse dans notre société moderne.
Selon la philosophe, « le capitalisme est incompatible par nature avec l’écologie »
Notre système du «toujours plus» conduirait la folie humaine vers des aménagements productivistes inhumains et son expansion sans limites. La finalité économique et la recherche du profit à tout prix déboucheraient inexorablement sur un désastre écologiste entrainant une hausse des consommations énergétiques proportionnelles aux déchets générés. Les peuples en développement, aspirant à notre modèle de société de surconsommation, choisissant ainsi la voie destructrice d’une organisation artificielle et boulimique génératrice de maladies et d’obésité. S'il est vrai que ce type d'arguments pessimistes est en partie vérifiable, la voie de la décroissance représente-t-elle pour autant une solution envisageable et crédible ?
Ne vit-on pas mieux en France en 2013 qu’il y a 100 ans ? Lucidement, qui souhaiterait revenir à l’époque de nos grands-parents ? Notre ravissante philosophe est-elle prête à renoncer à l’électricité, au chauffage central, à la voiture, au métro parisien, à son ordinateur et à son cellulaire avec accès internet ?
L’augmentation du niveau et de l’espérance de vie ne seraient qu’une supercherie montée de toutes pièces par des multinationales avides de profits dans le but de rassurer les hommes perdus dans notre civilisation décadente ?
Je sais bien que l’on peut adopter une vision pessimiste de notre société au combien perfectible, mais il n’est pas honnête de reprocher au capitalisme tous les maux du monde. Après tout, ce système imparfait avec ses injustices et ses excentricités est peut-être encore le moins mauvais des systèmes socio-économiques que l’homme ait mis en place à ce jour.
Il est parfaitement légitime de réfléchir à la condition animale, mais il est avant toute chose, essentiel d’améliorer la situation de nos semblables. À n’en pas douter, la réflexion philosophique et l’orientation qui en est faite séduiront bon nombre de bobo parisiens habitués à exprimer moins de sollicitude à l'encontre des sans-abris que d'éprouver une certaine torture mentale à se demander si manger du foie gras est un acte contraire à la morale.
De la hauteur philosophique contre une vision trop terre à terre...
Une chose me gêne terriblement, c’est de savoir que cette brillante intellectuelle et reconnue pour la qualité de ses ouvrages puisse étayer des propos aussi simplistes. Je me désole qu’une femme aussi charmante, élevée dans la campagne charentaise ait pu à ce point passer à côté de l’essentiel. Cependant, je dois me résoudre à n’être qu’un simple paysan. Il serait présomptueux de ma part de penser pouvoir toucher à plus de fragments de vérité que peut en saisir chaque jour l'esprit intelligent et exercé d'une professeure de philosophie...
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