La distillation des lies du vin
La mise en œuvre des lies est toujours une opération délicate dans la distillation. Si le vin clair mis en chaudière ne nécessite pas de précaution particulière, le bouilleur qui décide de distiller les lies du vin doit être particulièrement vigilant dans sa pratique pour éviter de cuire le fond de la marmite. En effet, le risque de "collage" provoqué par la matière organique des lies du vin peut entraîner de fâcheuses odeurs et goûts rédhibitoires de rimé ! La proportion de lies et la qualité de celles-ci auront un impact direct sur les eaux-de-vie obtenues. Le protocole de distillation sera modifié sensiblement afin de mettre en valeur cet élément organique riche en esters aromatiques et souvent améliorateur (selon l'eau de vie recherchée) des eaux-de vie au cours de leur vieillissement. De façon général, les vins issus d’une vendange à l’état sanitaire correct et d’une parfaite conservation, en intervenant sur différents leviers pour mettre en valeur les esters d’acides gras présents dans les cadavres de levures, produisent des eaux-de-vie aromatiques.
Les lies du vin
Lies grossières
Les vins non décantés (avant fermentation) et non soutirés (après fermentation) produisent des lies dites « grossières » constituées de bourbes et de levures de fermentation.
Lies fines
Issues du soutirage du vin, elles sont composées principalement des cadavres de levures de fermentation.
Typicité des marques de Cognac
Rémy Martin
C'est la marque de Cognac qui fait référence dans la distillation des lies puisque tous ses Cognacs résultent de la distillation des lies de façon importante. Ces Cognacs typés « lies » assurent sa marque de fabrique. Cette maison de négoce recherche des eaux-de-vie nouvelles riches et structurées, supportant bien le bois. Au bout de quelques années, ces eaux-de-vie rassises gagnent en amplitude. La gamme de ces Cognacs commence avec le VSOP (Cognacs de plus de 4 ans). Produire un VS (cognac de moins de 4 ans) pose trop de difficultés. En effet, les corps gras pas encore bien digérés et responsables de l'instabilité des jeunes Cognacs s'opposent à la bonne clarification du produit fini.
Martell
Ces cognacs sont à l'opposé des cognacs Rémy Martin. Le rigoureux protocole de distillation Martell préconise de distiller uniquement du vin clair en repassant l'intégralité des secondes dans les chauffes de vins. Les dégustateurs de cette maison de cognac, recherchent des eaux-de-vie fines, légères et élégantes souvent fluettes comparées aux eaux-de-vie Rémy-Martin d'une intensité aromatique élevée.
Hennessy
Les préconisations en matière de distillation ne reposent pas sur une méthode unique et figée. La distillation prend en compte les moyens techniques de chaque unité de distillation et la qualité du vin qui restitue son terroir. L'incorporation des lies n'est pas une recommandation générale mais tend à se généraliser dans les crus de terrains argilo-calcaires. La diversité des Cognacs reste assez étendue. Mais de façon générale les Cognacs Hennessy se situent entre Martell et Rémy Martin : Ni trop légers, ni trop riches.
Francis Audemard, un courtier assermenté de la région de Cognac avait pour habitude de personnaliser les Cognacs de marques. Voici les célébrités qu'il associait à ces cognacs bien que depuis les actrices ont un peu vieilli !
Martell : La délicate Carole Bouquet
Remy Martin : La pulpeuse Pamela Anderson
Hennessy : L'élégante Sophie Marceau
Intensité aromatique des marques de Cognac (richesse en lie)
J'ai demandé à Jean-François Joumier, de classer les principales marques de Cognac du plus léger au plus riche :
Martell (le plus léger)
Camus
Courvoisier
Hennessy - Meukow
Hine
Frapin
Rémy Martin (le plus riche)
Quel profil d'eaux-de-vie est recherché ?
Le distillateur doit savoir quel type d'eau-de-vie il doit réaliser pour satisfaire ses marchés. Si le distillateur est engagé complètement avec une maison de Cognac, comme la maison Martell qui proscrit la distillation des lies, dans ce cas, les lies seront livrées à la prestation vinique. Cependant si économiquement, la non distillation des lies représente une perte économique, le viticulteur pourra envisager d'en distiller une partie pour son stockage non contractualisé.
Si l'objectif est principalement économique et que le but recherché est d'atténuer l'effet marqué par la présence de lie, le bouilleur aura la possibilité de masquer cette particularité en adoptant une méthode de distillation appropriée.
Objectif : Minimiser l'intensité aromatique
Pour amoindrir la lourdeur des lies, en appliquant une distillation du type Martell, les eaux-de-vie seront moins intenses et plus discrètes que des eaux-de-vie typées Remy Martin.
Les secondes aux vins
En recyclant, l'intégralité des secondes de bonne chauffe dans les chauffes de vins, les eaux-de-vie gagneront en finesse et élégance.
Les températures de coulage du brouillis
En coulant très froid 10 à 11°C, les corps gras seront d'avantage retenus au porte- alcoomètre, l'eau-de-vie finale sera donc moins pourvue en esters aromatiques.
Objectif : Obtenir des eaux-de-vie de forte intensité aromatique
Si l'objectif premier est de mettre en exergue les esters contenus dans les lies du vin, il est préférable d'opter pour une méthode la moins rectificatrice, se rapprochant du protocole de Rémy Martin.
Les secondes aux brouillis
Les secondes de bonnes chauffes seront recyclées, dans leurs majeures parties, dans les brouillis. La proportion de queues de secondes à recycler dans le vin sera déterminée après différents essais de chauffes et contrôles par dégustation. Dans certains cas, les secondes sont introduites dans les brouillis jusqu'à 10 à 5% alcool.
Les queues de brouillis
Les queues sur les brouillis commencent généralement à partir de 10 à 5% d'alcool.
Les températures de coulage du brouillis
En coulant assez chaud (13
à 14°C), une large partie des corps gras se retrouve dans le brouillis. Si la quantité de lies distillées est importante, l'eau-de-vie finale sera riche et aromatique. Attention cependant à
mettre en chaudière des lies d'une qualité d'hygiène impeccable car dans le cas contraire le côté "graillon" peut dominer et alourdir sévèrement l'eau-de-vie. (Voir les mauvais emplois des
lies)
La conduite de la bonne chauffe
La distillation des
brouillis issus de lies nécessite une mise au courant douce afin de trier le mieux possible les têtes de bonnes chauffes contenant des éléments aromatiques intéressants. A la coupe du coeur le
distillateur doit réduire l'allure de chauffe pour trier et extraire les composants nécessaires à une eau-de-vie complexe. (Voir les paramètres à prendre en compte pour la distillation des
lies.)
Adapter et trouver sa méthode
Des distillateurs font souvent un mixte entre le protocole Rémy Martin (secondes au brouillis, température de brouillis élevée qui vise à exacerber les caractéristiques aromatiques liées a la présence de lie) et le protocole Martell très épurateur (secondes au vin). La combinaison de ces deux méthodes donne des résultats parfois surprenants : de la richesse avec beaucoup de finesse !
La distillation des lies du vin produit des brouillis troubles et riches en acide gras.
Mélangée à de l'eau, une eau-de-vie issue de ces brouillis révèle sa turbidité.
Incidence des lies sur les teneurs en esters
Constituants (mg/l EDV à 70%vol.) |
Distillation avec peu de lies |
Ditillation avec lies |
Caproate d'éthyle | 6,76 | 8,3 |
Caprylate d'éthyle |
8,95 | 23,6 |
Caprate d'éthyle | 13,8 | 63 |
Laurate d'éthyle | 12,45 | 36,2 |
Myristate d'éthyle | 5,4 | 9,8 |
Palmitate d'éthyle | 9,77 | 13,2 |
Palmitoléate d'éthyle | 1,44 | 1,8 |
Stéarate d'éthyle | 0,59 | 0,61 |
Oléate d'éthyle | 1,19 | 1,22 |
Linoléate d'éthyle | 7,69 | 9,52 |
Linolénate d'éthyle | 1,86 | 2,58 |
Caprylate d'isoamyle | 0,42 | 2,48 |
Caprate d'isoamyle | 1,67 | 5,76 |
Laurate d'isoamyle | 0,78 | 1,83 |
Caprylate de phényl-2 éthyle | traces | 1,2 |
Caprate de phényl-2 éthyle | 0,25 | 1,55 |
Esters aromatiques totaux | 73,02 | 182,65 (+150%) |
Source : Station Viticole du BNIC
Ces résultats montrent que la teneur en esters peut parfois être multipliée par deux lorsque des lies sont distillées.
Les précautions à prendre
Mauvais emplois des lies
Si le vin est trop chargé en lies, les eaux-de-vie peuvent être lourdes et peu agréables. A la réduction à 40%, elles peuvent présenter une odeur caractéristique de bouillon gras. Il apparaît une opalescence trop marquée.
Les lies détériorées, produiront des eaux-de-vie nauséabondes avec un caractère de composés soufrés (odeur de viande avariée).
Présence de gravelle et propreté de l'alambic
Ecarter la gravelle précipitée dans le fond du cuvier
Au cours du remplissage du chauffe vin et de la chaudière, de la gravelle se dépose notamment dans les cuves en fibre ou betons revetus de peinture epoxy dont les parois lisses limitent la fixation des cristaux de bitartrate de potassium. Les cuves de capacité importante peuvent contenir des quantités non négligeables de gravelle (une cuve de 500hl de vin peut produire jusqu'à 100 kg de gravelle). Celle-ci mélangée à la lie du vin, après un brassage avant pompage peut être recupérée dans un bac décanteur (la gravelle plus lourde que les particules de lie précipite rapidement). Il existe des filtres à gravelle (de 3000 à 8000 euros).
Le nettoyage de la chaudière
Attention : Un nettoyage de l'alambic s'impose lorsque des lies sont introduites dans la marmite. L'alambic doit être impérativement pourvu d'un système de lavage interne utilisé avant chaque charge. Mais, le bouilleur devra procéder à un nettoyage manuel de la cucurbite, du chapiteau et du serpentin après une mise en œuvre importante de lie.
Les paramètres à prendre en compte pour la distillation des lies
Lors de la bonne chauffe, le prélèvement des têtes de bonne chauffe devra être réduit afin de préserver au maximum les esters dans le cœur (caprate d'ethyle). Ce qui correspond à 0,5% du volume total de la chaudière alors qu'en distillation de vin clair, ce prélèvement varie de 1 à 2% du volume total de la chaudière.
La coupe du cœur de bonne chauffe
A la coupe, le distillateur pourra extraire un peu plus de secondes (lactate d'ethyle et succinate d’éthyle). Au passage des secondes, certains éléments sont favorables au vieillissement (support d'arôme). La coupe dite à 60% peut alors se faire à 58,57 % après contrôle par dégustation.
La conservation des lies
La conservation des lies demande un suivi particulièrement soigné. L'aération de cette biomasse de levures peut modifier rapidement son équilibre biologique. Les vins soutirés en vue d'isoler les lies pour leur mise en chaudière doivent être distillés dans un délai ne dépassant pas cinq jours. En soutirant ses cuviers, le distillateur devra tenir compte du volume de lie qu'il est capable de pouvoir transformer dans cette courte période. Quand la météo le permet, le bouilleur profite du froid de l'hiver (les basses températures limitent l'oxydation) pour procéder à ces soutirages en vue de distiller les lies.
La température de conservation des vins joue un rôle déterminant, au-dessus de 10°C l'activité microbienne plus importante contribue à l'altération du vin et de sa lie. En général, la conservation du vin sur ses lies ne pose pas de problème mais plus on avance dans la saison, plus le risque de dégradation du vin et des lies augmente. Ce qu'il faut retenir, c'est que d'une manière générale, les bons vins offrent des lies d'un bon potentiel aromatique. La couleur des lies doit être claire, si dans le cas contraire, celles-ci sont foncées, le processus d'altération microbienne est alors enclenché. L'odeur du vin et des lies est un élément à prendre en compte et les goûter peut donner une appréciation sur leur qualité.
Comment incorporer les lies au cours des chauffes de vin ?
Il y a plusieurs techniques pour incorporer les lies du vin dans l'alambic. Le distillateur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les risques de « collage ». Les lies ont tendance à se sédimenter et au contact du cuivre chaud, elles peuvent cuire et provoquer des goûts de « chaud » et dans le pire des cas des goûts de « rimé » dans les eaux-de vie. Le lavage et la propreté des différents éléments de l'alambic sont primordiaux (marmite, tuyauterie et chauffe vin).
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Après avoir remis les lies en suspensions dans un cuvier (à l'aide d'un brasseur, ou au rable), le vin trouble est pompé dans le chauffe-vin ou au moment de la charge. De cette manière, la proportion de lie dans le vin est homogène et assure une régularité de la teneur en acides gras au cours des chauffes. Des brasseurs à hélice peuvent également être installés sur les chauffe-vins et les cucurbites dans les distilleries qui intègrent de grosse quantité de lies.
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Les lies peuvent être aussi distillées à la fin, après que le vin clair ait été distillé. Le fond de cuve chargé en lie est brassé et dilué avec du vin. La concentration en lie dans la chauffe de vin peut être parfois très importante. Le risque de « collage » est amplifié mais dans la majeure partie des cas, l'expérience des bouilleurs de cru montre que cette pratique bien maîtrisée donne de très bons résultats sur les eaux-de vie obtenues.
Dans les cas où les lies sont regroupées dans un cuvier pour être incorporées au fur et à mesure dans des proportions relativement importantes, des distillateurs choisissent parfois d'incorporer les lies, juste avant la mise au courant, quand le vin est proche de l'ébullition dans le but d'éviter le collage des lies dans le fond de la marmite.
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La surcharge est une pratique encore courante qui consiste à incorporer les lies pendant la bonne chauffe après la coupe du cœur au début du coulage des secondes. Cette pratique à l'avantage de mettre en œuvre un volume de vin très chargé en lies qui correspond au volume d'eau-de-vie recueillie. Une nouvelle mise au courant est alors réalisée. Le produit finit donne un produit intermédiaire entre un brouillis et des secondes. Si cette pratique est sujette à controverse, certains bouilleurs obtiennent de très bons résultats avec cette méthode.
Les eaux-de-vie obtenues
Les lies de qualité dans les vins de distillation renforcent la structure aromatique des eaux-de-vie. Par rapport à la distillation d'un même vin avec et sans lie, les esters aromatiques peuvent être parfois multipliés par deux ! Une distillation avec lie donne des eaux-de-vie riches et structurées dont le potentiel de vieillissement se trouve renforcé. Pour l'élaboration de vieux Cognacs, ces eaux-de-vie gagnent en amplitude. Aujourd'hui, avec un marché de cognac « premium » en plein essor, la tendance est à la mise en œuvre de ce procédé dans bon nombre de maisons de Cognac.
Assemblages et vieillissement
Si le distillateur fait le choix de distiller séparément le vin et la lie puis d'isoler ces différentes chauffes, il pourra par la suite procéder à des assemblages dans le but de satisfaire les différents marchés qui s'offrent à lui et de répondre au mieux à l'exigence de ses acheteurs. En ayant un stock d'eaux-de-vie légères (sans lie) et un autre stock d'eaux-de-vie plus riches, le maître de chai pourra présenter différents échantillons à ses acheteurs pour répondre à la demande du moment.
Dans un chai sec, les eaux-de-vie issues de lies vieilliront mieux que des eaux-de vie provenant uniquement de vin clair. Ces eaux-de vie seront souvent sèches et agressives. La présence de corps gras dans les eaux-de-vie assouplit et arrondit l'eau-de vie au cours de son vieillissement. Pour la réalisation de vieux cognac (réserve de gestion compte 4 et 10), la distillation de lie même en faible proportion est souhaitable.
A l'exception de leur titre ces chansons n'ont aucun rapport avec le sujet traité dans cet article.
Sources :
Lionel Ducom (Revue le Paysan Vigneron - décembre 2002) entretien avec Bernard Galy (Station Viticole) et Partick Vinet (Chambre d'agriculture de la charente).