La «faim» des droits de plantation
Le parlement européen projette l'abandon des droits de plantation dès 2016. Cette libéralisation comme l'a voulue la commission européenne donne la liberté à chacun de planter de la vigne où bon lui semble comme un arboriculteur plante librement un pommier ou un noyer. Dans la région de cognac, l'aire d'appellation représente seulement 10% de la surface de vignes plantées pour la production de cognac. Cette perspective effraie le monde de la viticulture. Si cette mesure voyait le jour, il serait facile de trouver des champs agricoles pour y faire pousser de la vigne dans le but de produire du vin à cognac. Plusieurs États de la communauté pensent que cette mesure pourrait entrainer de profondes perturbations du marché viti-vinicole bien que cette décision ait validée par l'Europe depuis 2008. Des subventions ont d'ailleurs été versées aux viticulteurs des pays membres pour accompagner ce changement de dispositif. Cette prise de conscience de la part de nos représentants syndicaux et politiques arrive malheureusement un peu tard. Pour que la commission revoit sa position, il faut que le conseil des ministres obtienne la majorité qualifiée. Nous en sommes actuellement à 14 pays qui représentent 200 voix, il en manque 55 qu'il faudra impérativement avoir d'ici l'été 2012 ! Et si tel est le cas, ce ne sera pas encore gagné puisque la commission devra se prononcer à nouveau positivement ou négativement...
Les droits de plantation avec un cadre réglementaire, régulent le marché
Le régime actuel bloque l'augmentation des surfaces. Les exploitations qui aspirent à s'agrandir ne peuvent avoir recours qu'à l'achat ou à la location de vigne. La production de vin à cognac est réalisée sur une surface de 72 340 ha (1630 ha pour les autres débouchés et moins de 500 ha pour la production de Pineaux et Vins de Pays) soit plus de 97% de la surface de vignes plantées dans la région. De plus, le cadre réglementaire de l'inter-profession avec la mise en place de quotas vise à réguler la production en fonction des expéditions et des prévisions de vente. Ce système repose sur une négociation entre les syndicats du négoce et de la viticulture. Aujourd'hui, les ventes historiques de cognac dans le monde amènent inéluctablement les vignerons à produire plus que ce qu'ils devaient produire dans le passé. Un système acceptant la liberté de plantation dépourvu d'un cadre réglementaire (fixation de quota de production) casserait à court terme cette régulation de marché. Le négoce pourrait y voir une aubaine, les prix du vin et des eaux-de-vie s'effondreraient sans quotas de production. La surproduction prendrait le relais de la régulation et le négoce serait alors rassuré de ne plus être contingenté ni par une surface figée, ni par des limitations de production.
Les droits de plantation, un système féodal non équitable
Est-il juste de figer des surfaces de vignes comme des licences sont délivrées à des débits de boissons ou des pharmacies ? Cette situation de monopole paraît aux yeux des membres de la commission européenne comme une pratique anticoncurrentielle, un privilège d'un autre âge. Car vouloir raréfier le produit, c'est vouloir maintenir des prix forts. Si la démarche du syndicat unique (UGVC) est réflèchie et cohérente, elle cherche avant tout à protéger nos situations personnelles mais lèse le consommateur.
Aujourd'hui, un viticulteur possédant une petite surface de vignes ne peut se développer qu'en espérant pouvoir acheter ou louer de la vigne déjà convoitée par un viticulteur plus riche. Prendre des vieilles vignes en fermage ou les acheter à des prix exorbitants dans ce contexte économique favorable est un frein au développement. Et dans ce cas de figure, là encore le petit viticulteur aura du mal à s'agrandir parce qu'il aura des difficultés pour trouver un financement à ces achats fonciers.
Un céréalier pourrait très bien être tenté de planter de la vigne afin de les exploiter pour en tirer un bénéfice séduisant au cours des périodes fastes. Ne serait-il pas normal qu'un propriétaire foncier puisse planter la culture de son choix ? Dans la mesure ou la culture reste légale !
Avec des plantations libres, les restructurations des vignes seraient plus faciles. Le prix des terres agricoles augmenterait probablement au début. Les fermages peu intéressants seraient laissés à leurs propriétaires. Le prix de la vigne chuterait entrainant avec lui l'abandon de la majorité des fermages viticoles qui représentent une manne non négligeable pour une partie des retraités de l'agriculture.
La rentabilité économique commence dans le sol. Les terrains agricoles les plus fertiles et les plus qualitatifs (les argilo-calcaires) sur lesquels poussent des céréales trouveraient aisément de nouvelles destinations alors que les secteurs des Bons-Bois et des petites terres seraient boudés. Pour les producteurs de vins et eaux-de vie, les relations entretenues avec les négociants seraient des plus préoccupantes puisque la production ne serait plus ajustée comme aujourd'hui par rapport aux prévisions des ventes. Les viticulteurs baigneraient encore plus dans une logique de réduction des coûts de revient en rationalisant toujours plus leurs outils de production : la vigne et sa mécanisation, le chai, la distillation et la main d'oeuvre qui orchestre tout ça. Dans un système aussi libre, tout pourrait être possible, le meilleur comme le pire, de gros vignobles pourraient s'intensifier ou au contraire péricliter rapidement. De petites unités de productions du jour au lendemain pourraient voir leur vente réduite à néant. Ceux qui n'auraient plus accès à la vente, pris à la gorge, se verraient brader leur production et participeraient démunis à la baisse des prix. Nul doute que pour certains, ce changement de règle se ferait dans la brutalité et la douleur et finirait par la faillite pure et simple de l'exploitation. Alors qu'à l'inverse, on assisterait au développement de structures plus compétitives. Des investisseurs étrangers, patients, pourraient miser dans notre terre charentaise pour y planter de vastes surfaces et y embouteiller du cognac sous leur propre marque.
Souhaitons nous prendre le risque de voir se déstabiliser l'économie régionale ? Si le droit de plantation est bien un instrument protectionniste et régulateur, il demeure néanmoins un outil limitant nos libertés individuelles et contribue à la baisse du pouvoir d'achat des (riches) consommateurs étrangers. Malgré notre sentiment de liberté ou de soumission, notre avenir professionnel reposera avant tout sur la qualité des produits que nous serons capables de fournir à des acheteurs toujours plus exigeants.
Le PAPE est là !
Le BNIC a préparé son plan de remplacement du système en vigueur par un encadrement pour le Cognac : le Potentiel d'Adaptabilité de Production par Exploitation (PAPE). Les droits de plantations sont remplacés par des droits à produire mais dans les faits, les droits de plantation sont préservés puisque les plantations « sauvages » sont proscrites. La mise en place d'un quota d'exploitation assouplit le régime actuel en conservant un rendement butoir. Si ce système d'encadrement pouvait être retenu avec les outils de régulation récemment mis en place (réserve climatique et gestion), nous gagnerions en compétitivité et en stabilité de production. J'espère simplement qu'il n'est pas déjà trop tard...
Il ne faut pas tout liquider !
L'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) s'est prononcée contre la libéralisation des droits de plantation. Elle redoute des surproductions de vins qui rendraient ces boissons alcoolisées encore plus faciles à se procurer, entrainant une augmentation des addictions à l'alcool. L'État a déjà un remède bien connu et simple à appliquer : La taxation !
Une petite chanson, le temps d'une réfléxion...