La pollution, c'est les autres...
Des responsabilités non partagées
Il y a des sujets délicats dont il vaut mieux parler avec beaucoup de précautions, celui de la mortalité des abeilles en est un.
Après avoir évoqué avec l'un de mes employés la trop faible présence d’abeilles butineuses dans les vergers cette année, Alain, sensible à leur tragique destin est vite monté sur ses grands chevaux en affirmant qu’il suffisait de ne plus traiter pour voir retrouver les fragiles butineuses. J'ai été tout d’abord surpris par cette simplicité par laquelle un employé sérieux, compétent et passionné par le métier de la viticulture pouvait recommander la non-protection phytosanitaire pour les vergers de pommes alors que lui-même n’hésitait pas à la moindre tâche de mildiou apparu dans le vignoble à me préconiser un traitement, et la plupart du temps en me conseillant de « ne pas trop diminuer les doses » et de prendre les mesures nécessaires pour éradiquer le dangereux cryptogame. Alain travaille toute l’année dans la vigne, il aime son travail, consciencieux, et préoccupé par la qualité des futures récoltes, celui-ci en bon père de famille tient à tenir les rendements d'une récolte qu'il souhaite qualitative et quantitative. Il n'ignore pas que la qualité du produit fini, le vin puis dans un second temps l'eau-de-vie sortie des alambics repose entre autres sur la bonne protection des produits phytosanitaires, pourtant reconnus comme n’étant pas spécialement compatibles avec la vie des abeilles...
Le même type de réflexion choquante m’a été offert tout récemment par un ami, maraîcher, viticulteur et céréalier. J’ai pu vérifier pleinement les effets collatéraux de ce sujet polémique, mais à ma grande surprise avec un professionnel dont les méthodes culturales de la vigne et de sa protection sont semblables à celles que je pratique.
Celui-ci aussi avait eu l’occasion il y a très peu de temps d’évoquer le triste constat du manque d’abeilles dans les vergers, avec José, un responsable technique de la conduite et de l'organisation du travail dans les vergers. Mon copain semblait ne pas comprendre cet étonnement de la part d'un pomiculteur qui travaillerait apparemment sans intégrer le bien-être de nos précieux insectes ! Il y a des fois, certaines remarques font plus mal que d’autres, surtout lorsque celles-ci viennent de ma famille agricole et encore plus d'un ami.
Quelles sont donc ces différences ?
Cyril, maraîcher, grand travailleur, perfectionniste, producteur de légumes, mais aussi, vendeur direct a su développer avec l'aide de sa femme et ses parents une clientèle ravie par la très grande qualité de leurs produits. Il cultive « son jardin » en limitant les pesticides sur ses cultures et préférant bien souvent faire le choix de ne pas traiter. Il sait que sa clientèle est sensible à cette démarche de production. Les poireaux ou les carottes qui poussent dans son jardin n’ont pas les formes régulières comme ceux que l’on peut trouver en grande distribution, produits issus de l’agriculture à grande échelle, utilisatrice de variétés productives à croissance rapide. Son créneau à lui, c'est une production de légumes de grande qualité gustative, variée, limitée et à petite échelle. S’il n’a jamais eu envie de passer à l’agriculture biologique, il a préféré opter pour une culture raisonnée, en mettant en place une protection par la lutte intégrée des insectes auxiliaires dans ses serres ouvertes et en envisageant l'utilisation de produits phytosanitaires qu'en ultime recours. Personne ne se plaindra de cette démarche respectueuse de la qualité des légumes produits et commercialisés sur sa ferme.
Si je ne suis pas maraîcher, je peux quand même témoigner que Cyril exerce son métier avec talent, et ce au prix de beaucoup d’efforts et de temps consacrés. Cependant, tout comme lui, je suis viticulteur et sans entrer dans les détails, je peux dire que nos façons culturales sont très proches. Comme moi, il a recours aux engrais organiques et minéraux. Comme moi, il utilise des pesticides de synthèse avec des fréquences de traitement qui reposent sur les résultats de la modélisation (l’étude du risque parasitaire). Comme moi, il est amené à appliquer de manière raisonnée des insecticides. Comme moi, il n'utilise plus depuis bien longtemps d'acaricides, préférant laisser se développer les typhlodromes, ces efficaces prédateurs naturels des araignées rouges. Comme moi, il emploie des désherbants chimiques pour contrôler le développement des adventices sous les pieds de vigne. Comme moi, il doit parfois saisir les fenêtres étroites pour traiter entre deux pluies, périodes pas toujours idéales pour appliquer un traitement (vitesse du vent, période propice à l’activité des abeilles.)
Et comme Cyril est un bon viticulteur, il réalise chaque année des rendements plus qu’honorables. Chef d’entreprise, livreur de vin, comme tout viticulteur qui se respecte, son but est de réaliser l’optimum quantitatif lui permettant de satisfaire les quotas de production afin de réaliser le meilleur résultat économique possible. En tout cas, le viticulteur que je connais semble très bien s'accommoder de cette réalité.
J’ai beau chercher et je ne vois pas en quoi sa façon de travailler est plus respectueuse en ce qui concerne la prise en compte de la qualité du sol et de l’eau ou le bien-être des abeilles dans le vignoble…
Alors quand il met en cause la mauvaise approche culturale des vergers de pommes de mes cousins qui serait responsables de la baisse de la population des insectes pollinisateurs, je sursaute. Quand il m'explique qu'il ne faut plus s'étonner de cet alarmant constat dont les raisons seraient liées à une utilisation et des emplois irraisonnés de pesticides ou par exemple la mise en place de filets paragrêle qui gêneraient l'activité des butineuses, je ne comprends plus. La lutte chimique admise et évidente en viticulture pour protéger le végétal et les fruits ne reposerait plus par contre sur cette même logique en arboriculture ? Sous quels prétextes sérieux les objectifs de production en viticulture ne seraient alors plus légitimes en arboriculture ? Faudrait-il sacrifier les filets paragrêles et risquer des dégâts rédhibitoires du climat pour le bien-être des abeilles ? Le choix de la protection phytosanitaire résulte d’un compromis entre d'un côté la volonté de pouvoir maitriser l'intensité parasitaire, et de l'autre, la prise en compte des effets indésirables de cette protection sur la faune auxiliaire et les répercussions éventuelles sur l'environnement. Que les choses soient bien claires, oui, malheureusement parfois après avoir mis en place des mesures prophylactiques qui ne suffisent plus à contenir les parasites, l'agriculteur peut choisir d'appliquer un pesticide, prenant le risque de sacrifier des insectes auxiliaires dans le but de préserver la qualité de ses récoltes. Et ce n’est jamais de gaieté de cœur que les traitements sont décidés, que ce soit chez Cyril, dans les vergers du Tastet ou sur mon exploitation.
Le grand désarroi...
Ce qui est blessant, c’est que ces reproches sont formulés par un paysan, une personne qui sait combien il est indispensable de produire pour couvrir ses charges et générer du bénéfice nécessaire au maintien et au développement de son activité. Je voudrais ajouter une chose, loin d'être anodine, la conduite des vergers mise en cause est en production fruitière intégrée. Si Cyril prétend baser ses choix techniques sur des observations rigoureuses, il n’en a pas non plus l’exclusivité ! Mais ce qui me désespère, c’est d'entendre ces reproches venant d’un agriculteur bien conscient des enjeux économiques de nos métiers, une personne de terrain. Cette façon de se dédouaner et de paraître plus « vert » et plus compétent que ses voisins pour maintenir la bonne activité des abeilles m’attriste vraiment venant d’un confrère.
Ces deux exemples sont à mon avis inquiétants parce qu'ils montrent que les reproches émanent de personnes issues du métier de la terre et que les fautes et la responsabilité sont toujours imputées « à l’autre ».
Que je sois mal entendu par des néophytes sur les explications des métiers de l'agriculture ou que je ne sois pas toujours bien compris non plus par les non-initiés lorsque j’aborde les choix compliqués qui m’amènent à employer des pesticides pouvant s'avérer nuisibles à la santé des abeilles est excusable. Mais lorsque cette incompréhension se manifeste dans mon propre camp, alors là, le désarroi finit par me rattraper...
La pollution anthropique (source TransAlp'Air)
Et pour finir, une petite chanson légère d'Alizée...