Le cours naturel des choses

Publié le par Alambic City

Champs de bataille des vieux portes alcoomètres

 

Mardi matin, deux personnes de l’équipe Chalvignac intervenaient dans ma distillerie. Ils arrivèrent à l’heure convenue, vêtus de leurs blouses blanches, ils se montrèrent dignes de leur profession. Dans le respect de la tradition, ils ôtèrent leurs chaussures et se signèrent avant de pénétrer dans ce lieu de paix et de recueillement. Comme la coutume l’exige, ils me demandèrent avant de procéder au changement d’organe si ma volonté était toujours intacte. Sans dire un mot, en regardant mes pieds, je me contentai d’acquiescer d’un signe de tête à la fois résigné et déterminé à poursuivre les débuts de cette douloureuse opération. Après voir accepté ce lourd contrat en apposant ma signature sur l’acceptation des travaux, le plus âgé de l’équipe de maintenance me demanda de me retirer et de les laisser commencer cette délicate intervention. En refermant la porte, je jetai un dernier regard sur les vieux portes-alcoomètres marqués par le temps et le rythme effréné du coulage des brouillis et des bonnes chauffes. A la lumière du soleil, je réalisai alors la cruauté de la vie. C’était le cycle infernal et funeste de l'existence, l’usure conduisait inexorablement vers la fin. Dans notre société de consommation, où la performance est le nouveau testament, lorsque les choses ne remplissent plus leurs fonctions premières, la finalité sans appel d’un tintement de cuivre rouge nous forçe à passer avec froideur notre chemin. Comme le son d’un tuyau en cuivre lâché par mégarde retenti dans une distillerie, les tragiques événements passent tout au long du coulage des chauffes. Mais quoi qu’il arrive, on n’interrompt pas l’activité de la distillation. En fin de soirée, les deux chirurgiens plasticiens se démenaient sans relâche dans leur tâche difficile. Du bureau, je surveillais leurs allers-retours, mon rythme cardiaque toujours soutenu par mon angoisse persistante me paralysait dans une attente interminable. C’est à cinq heures trente trois que les deux internes plombiers-chaudronniers sortirent définitivement de la grande salle de méditation en tenant chacun un porte-alcoomètre dans leurs mains qu’ils déposèrent avec soin et respect dans le fond de leur camion. Je courus comme un fou en direction du corbillard blanc pour dire une dernière fois au revoir à mes deux fidèles serviteurs qui allaient certainement finir recyclés dans une distillerie Antillaise. Dans la douleur je me raccrochais à cette hypothétique option, moins sordide et porteuse d’espoirs.

 

Après avoir remercié les chirurgiens croque-morts et laissé lentement partir l’ambulance de l’espoir, je regagnai la distillerie. Une fois passé la nef des barriques, arrivé face à l’autel de l’alambic, je pus enfin contempler le brillant chef-d’œuvre des artisans du cuivre. A ce moment là, mes nerfs lâchèrent et je me mis à pleurer sans retenue mes anciens partenaires devant la beauté de mes nouveaux alliés. Sans bien comprendre ce que je ressentais, un sentiment étrange entre joie et tristesse m'envahissait. Je devrais trouver mes marques. Bien sûr au début ce serait perturbant mais je savais déjà que la gnole qui en découlerait serait fine et subtile car c’était après tout le cours naturel des choses…

 

Porte alcoomètre Chalvignac

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S
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> C'est dans les vieux pots qu'on fait la bonne soupe !!<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Au début, j'ai cru que tu parlais des seins de Cécile. <br /> <br /> <br /> <br />
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