Sans trembler
Je lis avec plaisir toutes les informations concernant l’évolution des méthodes et du monde Agricole, je suis un rural, vivant dans un village de 800 âmes, j’ai passé ma jeunesse à faire les moissons, dès l’âge de neuf ans ,je conduisais le tracteur, j’ai donc connu et vécu la considérable évolution du monde paysan; cependant, j’ai pu constater les dégâts immenses et probablement irréversible de l’environnement: disparition ou quasi disparition des perdrix, des cailles, des faisans, des alouettes, et, depuis quelques années, des abeilles, des pigeons ramiers, des corbeaux, des pies des geais.
En cinquante années, je mesure l’étendue des dégâts, nos campagnes deviennent des déserts biologiques, même les agriculteurs, partisans de ce progrès, eux aussi meurent de ces maladies qui n’existaient pratiquement pas il y a de cela 60 ans, alors pouvez-vous encore affirmer avec aplomb que nous vivons un progrès ?
Les produits qui sont à disposition du monde agricole, cachent leur effarante toxicité sur des étiquettes trop illisibles !
Dans les essais sur la toxicité des produits sur les abeilles, les
agriculteurs qui rendent compte de perte de ruches sont systématiquement éliminés des futurs essais, de peur que leurs expériences rendent méfiant les autres apiculteurs, ne pensez-vous pas que de telles pratiques de la part des firmes agrochimiques devraient être condamnées par ceux qui emploient ces produits si nocifs ?
Enfin pouvez-vous me soutenir sans trembler que la disparition des agriculteurs, des pigeons, des perdrix, etc. sont des dommages collatéraux.
Sincères salutations.
Albert GUIGNARD
Oui, je soutiendrai sans trembler que nous vivons ici mieux et plus longtemps que dans 99 % des pays de cette planète, que l’extension des villes et zones commerciales a fait plus de dégâts irréversibles que la destruction des haies qu’il est assez aisé de recréer (voir l’agroforesterie), que nos procédures d’essais des produits phytosanitaires n’ont pas cessé de s’améliorer, que beaucoup de gens qui se prétendent apiculteurs, ne le sont pas vraiment et ont eu des conduites souvent irresponsables, que la petite exploitation, c’est très bien à condition qu’elle puisse grandir, et qu’elle ne reste pas un lieu de l’exploitation (involontaire !) des femmes et des enfants, et qu’enfin (pour faire bref), nous pouvons rechercher ensemble des compromis raisonnables qui permettent à tous de travailler et vivre dans des conditions correctes.
Guy Waksman
D'autant que je les observe même dans des régions de moyenne montagne de l'Auvergne, qui n'ont guère souffert de l'intensification de l'agriculture et de ces diables de pesticides puisque les agriculteurs en sont partis, laissant place à une occupation semi-extensive du pâturage et à l'envahissement par les ronces, fougères, genêts précurseurs de la forêt. Là les seuls pesticides qu'on utilise sont ceux des colliers aux cous des chiens.
Mais avant même l'apparition de la "chimie" les pratiques ont changé. Passer de la faucille à la faux, de la faux à la barre de coupe, et de la fourche au round-baller ne va pas sans simplification excessive de la faune (rongeurs et jeunes oiseaux finissant dans la machine) et de la flore. Et donc : simplifier ou supprimer des bords de champs à la flore complexe, c'est supprimer la pitance des chenilles qui donnent les papillons. De ce côté la gestion de la fauche (devenue aussi redoutable qu'Attila) et le remplacement des anciennes bordures approximatives de prés et champs par des barbelés ou des clôture électriques a certainement un effet. Effet négatif pour la biodiversité puisque l'environnement a changé (ou, en logique darwinienne, naissance d'une autre biodiversité...).
Pour tout ce qui concerne les batraciens le problème est, je crois, observé au niveau planétaire (même dans la forêt amazonienne) et semblerait lié à des maladies nouvelles de la peau.
Et le progrès, dans tout ça ? Je ne me prononcerai pas, il serait prudent de demander à ceux qui ont voulu soit changer les conditions épuisantes de leur travail rural, soit le fuir, de se prononcer.
J'ajoute que, agronome moi-même, sur quarante ans de métier (en Bretagne) j'en ai passé les dix premières à optimiser la production et les trente dernières à contribuer à l'évolution des pratiques pour concilier un juste revenu des agriculteurs et des pratiques respectueuses de l'environnement. Avec beaucoup d'autres collègues, et dans la mesure de mes moyens.
Donc je soutiens sans trembler qu'en 2014 comme en 1964 et comme en 1600 (clin d'oeil à la mémoire d'Olivier de Serres) les hommes de bonne volonté font ce qu'ils peuvent, que ce n'est pas parfait et que je continue à croire en celles et ceux qui se battent pour que demain soit meilleur qu'aujourd'hui.
Robert Blondel