Le principe de précaution est insensé
Le principe de précaution est insensé
Le principe de précaution doit être remis en cause, pas seulement parce que ses conséquences sont coûteuses, voire dramatiques, mais parce qu'il est insensé. Comment pourrait-il avoir un sens, alors qu'il n'est jamais défini.
Ainsi l'article 5 de la charte de l'environnement précise qu'il faut prendre des mesures provisoires et proportionnées en application du principe de précaution, comme si son existence ontologique allait de soi. Comment « bien » appliquer un principe indéfini ? À l'évidence, le principe des uns ne sera pas le principe des autres. De surcroît, il est illogique : comment prendre des mesures proportionnées alors que la réalisation du dommage que l'on souhaite éviter est incertaine ? Ce qui est incertain le demeure et donc à quoi « proportionner » des mesures ? Qui définit les éventuels « dommages » incertains auxquels devrait s'appliquer ce principe toujours indéfini ? La loi Barnier (1995), elle au moins, parlait de mesures proportionnées à un coût économique acceptable. Doit-on vraiment parer des dommages incertains sans aucune contrainte économique ?
Par ailleurs, ce même article 5 demande aux autorités publiques de mettre en œuvre des procédures d'évaluation des risques. Le chercheur ne peut que s'en féliciter, mais que se passe-t-il quand, par exemple, des « faucheurs volontaires » détruisent les expériences bâties pour évaluer les risques éventuels par eux allégués. Enfin, et surtout, ce principe ne s'intéresse qu'aux dommages et fait fi des bénéfices probables, voire certains des antennes-relais, des pesticides, des OGM, des produits chimiques, de l'industrie nucléaire, des vaccins...
On découvre ainsi que le principe de précaution n'est aucunement la version contemporaine de la prudence, vertu cardinale qui consiste à mesurer les bénéfices et les risques probables avant toute décision, risques probables donc, mais incertains. Être prudent, analyser les risques pour tenter de les réduire, voire de les éviter, constituent de sages conseils ; mais d'avoir fait de la précaution un principe est un drame : il ne s'agit plus de tenter d'analyser des évolutions vraisemblables, compte tenu des informations disponibles, mais d'imaginer l'irréel, l'impensable, sous prétexte que les dommages causés pourraient être importants.
Cet incertain-impensable est imaginé par des associations qui s'autoproclament « écologiques ». Elles parviennent à troubler l'opinion en évoquant des risques qui n'ont pu être mesurés (on est toujours dans le cas de la réalisation incertaine d'un dommage), mais qui peuvent être associés à des images fortes et connues. Ainsi l'exposition de la bombe thermonucléaire permet de légitimer la crainte des centrales nucléaires. Des gaz utilisés pendant la guerre 1914 suffisent à redouter les produits chimiques... Oui, l'énergie nucléaire et des produits chimiques sont dangereux... à certaines doses, mais peu importe pour ses faiseurs de peur que la dose soit infiniment plus petite, ils ont atteint leur objectif. Si l'on doit redouter de recevoir sur la tête un rocher de plusieurs tonnes, faut-il pour autant craindre un grain de sable un milliard de fois moins lourd ? C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit. L'État réglemente, les doses admises baissent et par précaution on accroît sans justification sanitaire le coût de l'usage de certains produits ou de certaines techniques (le nucléaire). Ainsi on réglemente l'usage de substances qui ne sont dangereuses à aucune dose (les nitrates) ; on interdit en France la culture des OGM et, ce faisant, on perd une recherche (nous étions il y a trente ans les leaders mondiaux), une industrie (elle s'implante à l'étranger) ; on achète des OGM (soja, coton...) et on pénalise l'agriculture française qui produit de ce fait des graines plus onéreuses (200 euros par hectares pour le maïs) et de moins bonnes qualité.
Au moment de l'épidémie de grippe H1N1, on réserve par précaution les vaccins sans adjuvant aux femmes enceintes et aux bébés. Tout le monde comprend que les vaccins avec adjuvant sont dangereux (ce n'est pas le cas), un million de personnes ne se font pas vacciner en 2011-201é. L'épidémie de grippe survient, beaucoup de personnes âgées en meurent et l'espérance de vie des Françaises baisse en 2012 : des morts... par précaution.
« Ce qui tombe sous le sens rebondit ailleurs », disait Jacques Prévert, oui, mais, semble-t-il, plus souvent dans un enfer pavé de bonnes intentions.
Jean De Kervasdoué, est économiste de la santé, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et membre de l'Académie des technologies. Il a été directeur général des hôpitaux. Son dernier ouvrage : « Ils ont perdu la raison », Editions Robert Laffont, 2014.