Acquis social
Ce soir, je sors avec les copains, c'est devenu un rituel le vendredi. Le vendredi soir "avec les copains" fait parti d'une attribution que je n'ai pu gagner qu'au prix de longues batailles de discussions et d'un acharnement continu à convaincre ma femme de me laisser de l'amplitude à ma traditionnelle soirée de beuverie. Pour ne rien vous cacher, cela n'a pas été chose facile et pour obtenir cette revendication, j'ai dû user de tous les stratagèmes y compris les plus bas du style "Si t'es pas contente t'as qu'à retourner chez tes parents..." mais en fait ce type de menace accompagné d'ultimatum s'est avéré peu efficace, voir totalement caduque. J'ai dû menacer ma femme autrement pour pouvoir me tirer en douce dès vingt heures trente (mais en ayant couché les gosses auparavant !). Non, ce qui m' a véritablement permis d'obtenir gain de cause, c'est la pression que savent si bien pratiquer les syndicalistes émérites qui jamais ne cèdent et campent jusqu'au bout sur leurs positions, même lorsque le bateau coule, préférant mourir avec tout l'équipage, femmes et enfants compris.
C'est lorsque j'ai évoqué à mon amour que sa grasse matinée du samedi matin dont elle bénéficiait pendant que je m'occupais des enfants tout en faisant le ménage avant de partir faire les courses puis préparer le repas, reposait sur le socle instable et fragile de mon bon vouloir. Ce privilège jamais contesté, considéré comme un dû, se retrouvait menacé comme l'insomniaque désespéré vient de perdre l'ordonnance de ses somnifères et du salut qui en découle.
Elle dut alors négocier avec sa fatigue et ma vie de débauche et de dépravation avancée pour finalement capituler, préférant dans ce pourparler tendu renoncer à son vendredi soir familial pour conserver son quota de sommeil. Ce n'est pas tant le fait de me voir partir qui la perturbait mais plutôt le fait de ne pas me voir rentrer après six heures du matin. En effet, ma fille, à l'inverse du métabolisme de sa mère qui nécessite une période importante de repos pour survivre, est dotée d'un organisme qui se contente que d'une très courte durée de sommeil. Ce rechargement de batterie chez cette enfant se traduit par un réveil rapide et précoce. Cela, ma douce et tendre femme ne le supporte pas, c'est pourquoi en bon mari que je suis, j'ai toujours trouvé naturel, de m'occuper de ma progéniture dès que son tendre regard s'ouvre à la lumière du jour (ou plutôt à la pénombre).
En ce qui me concerne, si je pars très rapidement du domicile conjugal, bizarrement, j'en reviens bien moins rapidement comme si mon entrain et ma vélocité du début de soirée était inversement proportionnelle à ma cadence du retour, ceci répondant à une loi statistique des plus complexes. Je n'ai pas d'explication à ce mystère mais je sais toutefois que lorsque je pars, je sais compter au moins jusqu'à dix, ce qui ne se vérifie pas toujours à ma réapparition confuse et embarrassée.
Bien sur, il m'est arrivé de payer cher ces nuits de dépravation. Mon cerveau et mon foi auraient tendance à se liguer contre moi et prendre la défense de ma femme, ce qui me rends encore plus seul dans ces combats matinaux où les cris des enfants et le bruit de l'aspirateur malmènent des maux de tête et des nausées interminables. J'ai donc pris pour habitude de souffrir ce samedi matin, c'est le prix à payer pour conserver ce privilège tant convoité.
Il arrive parfois que je me retrouve seul le vendredi soir, les copains m'ayant lâchement laisser à mon triste sort de célibataire virtuel. Par peur de perdre ou de voir remettre en cause cette faveur, j'ai pris pour habitude de partir quelque soit ma motivation. Sans rien vous cacher, c'est comme ça que j'ai pu me retrouver certains vendredis soirs à dormir dans ma voiture garée dans le garage afin de simuler une absence et accoutumer ma femme à cette tradition qui pouvait du jour au lendemain être remise en cause si ce rythme hebdomadaire se retrouvait cassé.
Mais cette technique sournoise de maintien de privilège a faillit un jour être découvert au petit matin. Comme le véhicule de ma femme est plus spacieux et confortable que ma voiture de fonction, mes lombaires douloureuses avaient jugées plus judicieux d'installer ma dépouille à l'arrière de sa voiture. Pour passer le temps, je comblais l'ennui en écoutant France inter tout en dégustant un trop bon Napoléon. Il n'a pas alors été aisé pour moi, d'expliquer à ma femme ce que je faisais endormi dans sa voiture, la tête baignant dans le vomi...
Ma femme, fidèle lectrice de ce blog, tient à préciser à ceux qui ne me connaissent pas que cette histoire est une pure fiction et nie catégoriquement les faits qui y sont relatés. Quant à moi, je sais par avance que ceux qui me côtoient savent très bien que cette fiction est bien évidement en dessous de la réalité...