Rencontre du troisième type
Il y a quelque temps, lors d’un week-end en famille à Paris, j’ai eu la désagréable expérience de subir les effets collatéraux de la mouvance bobo parisienne sous sa forme la plus stupide. Au cours de la visite d’un des très beaux musées que compte la capitale, à l’approche de midi, l’estomac des enfants commençant à se plaindre, nous décidâmes de déjeuner dans le restaurant de la galerie. Après avoir pris place et commandé les plats et les boissons, le jeune serveur revint un moment plus tard avec les jus de fruits et un verre de Cheverny rouge alors qu'à mon grand désarroi, j’avais commandé une bouteille. Très professionnel, celui-ci me laissa le verre et alla chercher un contenant plus adapté à notre consommation de villageois assoiffés par ce fâcheux malentendu. Entre temps, impatient, je ne résistai pas à sentir le breuvage.
Pause.
Puis après un temps d’arrêt olfactif embêté, circonspect, je finis par le mettre en bouche pour le déguster. Ma femme qui sait reconnaître l’homme contrarié, parfois que je suis, me demanda de le goûter à son tour sur un ton autoritaire et annonciateur de reproches. Mon regard m’avait trahi, mais son jugement sévère réconforta malheureusement mon analyse organoleptique décevante du piteux pinard. Les sarcasmes de mon épouse en vacances ne se firent pas attendre :
« C’est quoi cette piquette ? Tu as commandé de la vinaigrette mon chéri ? »
Ce vin légèrement trouble avait une odeur phénolée des plus désagréables. En bouche, brut de décoffrage, il pétillait légèrement
comme pour témoigner que son évolution décadente n’était pas totalement aboutie. Le vin, produit vivant, et son risque de déviance lié, à sa mauvaise conservation n’échappait pas à la table
d'une des plus belles villes du monde. J’avais beau me persuader que la dégustation était l’école de la modestie et de l’indulgence, je restais froissé par cette mésaventure, navré de la
mauvaise tournure que venait de prendre ce Pinot noir méconnaissable et complètement dénaturé.
Lorsque le sommelier revint cette fois-ci avec le précieux flacon, je me permis un peu gêné de lui faire remarquer que le vin «
avait un problème » et que je craignais que le liquide contenu dans la bouteille soit identique à celui du verre généreusement offert. Le jeune homme attentif et aimable voulu me rassurer
:
« Ah oui, en effet, il pétille un petit peu, mais c’est normal, c’est un vin naturel. » Son explication ne me convainquit pas
vraiment et l’idée de déboucher la bouteille pour revivre la douloureuse expérience me déprima un peu plus. Le garçon gentleman nous proposa alors de faire un choix sur un vin plus conventionnel
pour nos palais de provinciaux.
Le Saumur Champigny qui suivit l’incident œnologique me réconcilia avec l’agriculture biologique dont il était issu. Après plus
d'une heure d’attente du plat qui résistait à ne pas venir sur notre table, ma femme reconnut, qu’une bouteille n’était pas un choix si déraisonnable après toute cette errance imaginaire dans les
vignobles de la vallée de la Loire. Les enfants, quant à eux, commençaient à se faire les dents sur le coin de la table en apprenant à leurs dépends que la qualité intrinsèque des produits
alimentaires servis n’est pas systématiquement en accord avec la beauté architecturale d’un site…
Ce week-end à la capitale me confirma combien en matière de culture, l’homme capable du pire comme du meilleur pouvait se
montrer bien souvent surprenant. Mais ce serait me demander un trop gros effort intellectuel que de vouloir comprendre ce qui pouvait pousser des nostalgiques d’une époque lointaine et idyllique
à demander à des vignerons d’abandonner l’utilisation du soufre dans leur vin pour redécouvrir les caprices de la nature et notamment celui du rôle que jouent des bactéries dans le processus de
transformation du vin en vinaigre !
Paris en chansons...