Fragments d'égarements d'un viticulteur-bouilleur de cru
Chassez le naturel, il revient au galop...
Publié le
par Alambic City
Alors que la première préoccupation de l’homme a toujours été de lutter contre son environnement, le conduisant à améliorer sans cesse sa condition humaine dans le but d’assurer ses besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, s’habiller), la tentation est forte aujourd’hui dans les sociétés riches de dénoncer un contexte artificiel pour revenir à une existence plus naturelle. Ce besoin contradictoire de nature, cette envie à un retour à l’essentiel, à une redécouverte des choses simples et meilleures est significatif des croyances véhiculées par les prétendus pouvoirs de la production artisanale et naturelle bienfaitrice en opposition avec les produits artificiels industriels forcément malsains.
C'était mieux avant...
Même si les craintes des citoyens méfiants (conditionnés par les médias) à l’égard des produits alimentaires qui seraient contaminés par des pesticides et autres agents de conservation sont légitimes, ils révèlent bien souvent un paradoxe flagrant, une mauvaise fois évidente. En effet, comment certains peuvent-ils sérieusement militer pour une agriculture biologique (pourtant utilisatrice d’engrais et de pesticides) tout en continuant de fumer quotidiennement (et de manière superflue) des cigarettes dont la toxicité sur notre santé est parfaitement reconnue !
Si le naturel est si bon pour la santé, alors pourquoi faire cuire la viande ? Pourquoi cuisiner les aliments ? Regardez, ces fruits et légumes vendus dans les magasins, ils sont le résultat d’une longue sélection variétale et n’ont en définitive plus grand-chose de naturel. Sur quels critères se baser pour affirmer qu’un produit est plus naturel qu’un autre ? Son mode de production ? Le nombre d’additifs qu'il contient ? De nombreuses études ont démontré l’innocuité de l'aspartam dans les conditions dans laquelle elle est consommée, toutefois, cet édulcorant artificiel continue de véhiculer des suspicions chez les consommateurs. Des produits naturels tel que le sel ou le sucre ont cependant des répercutions nettement plus tangibles sur notre santé. Mais voilà, l’artificiel est forcément moins bon pour notre nature !
Les huîtres triploïdes, obtenues par croisement d’huîtres femelles diploïdes et des mâles tétraploïdes devraient effrayer les consommateurs majoritairement hostiles à ce qui se rapproche des manipulations génétiques. Ces huîtres stériles baptisées huîtres de quatre saisons ne produisant alors plus de laitance sont commercialisées tout au long de l’année pour le plaisir des consommateurs et de leurs producteurs. L’appétit gourmand des français pour ce festif coquillage ne semble pas être contrarié par cette technique de production anti-naturelle !
Bien souvent, les gens soucieux de la qualité de leur alimentation surestiment les vertus des produits naturels oubliant par paresse et par manque de volonté un mauvais équilibre alimentaire (trop de gras, trop de sucres, pas assez de fruits et légumes) responsable de carence ou de surpoids, avant coureur de risques cardio-vasculaires. Nul besoin d’être diététicien pour se rendre compte que l’on mange trop par rapport aux efforts physiques fournis dans notre société moderne. Ce n’est pas la qualité de notre alimentation qu'il faut reconsidérer mais les quantités absorbées ! C'est donc bien les excès d'une « surnutrition » des sociétés développées avant la qualité intrinsèque des aliments qui est à remettre en cause. A noter que le problème de malnutrition des pays pauvres est lui en revanche accentué par des risques alimentaires fréquents, la non réfrigération des aliments se dégradant plus rapidement et développant naturellement la prolifération de germes pathogènes mortels.
L'eau du robinet qui alimente nos habitations et qui est distribuée par de grands réseaux de canalisation, est souvent suspecte alors que c'est probablement l'un des produits alimentaires les plus contrôlés. Bien sûr, pour que celle-ci soit potable, elle subit une désinfection (par charbon actif, ozone, chlore...) afin d'assurer une bonne qualité bactériologique. Faudrait-il supprimer ces traitements pour retrouver un goût plus naturel et laisser se développer les micro-organismes pathogènes responsables de diarrhée ?
L’arsenic d’origine naturel retrouvé dans les eaux souterraines de la vallée d'Auvergne n’en demeure pas moins toxique pour notre santé. Le champignon amanite Phalloïde qui pousse le plus naturellement entraîne la mort de son consommateur. La morsure de crotale, une pique de veuve noire, de scorpion ou du frelon asiatique sont également des expériences à éviter… Non la nature n’est pas toujours bonne, elle est même souvent d’une cruauté sans nom.
Le pain et le vin souvent considérés comme aliments naturels simples ne sont-ils pas justement des produits répondant à un processus de fabrication complexe de l’industrie humaine ?
Le pain et le vin sont-ils des aliments naturels ?
Le pain
Ce serait ignorer que la farine qui donne le pain provient de la culture du blé dont les semences ont été obtenues par une sélection permanente depuis que l’homme agriculteur a commencé à modifier son milieu. Les champs de céréales sont entretenus avec des engrais chimiques pour les faire pousser. Les produits phytosanitaires sont épandus pour protéger ces cultures contre les champignons parasites et les insectes ravageurs. Les épis sont récoltés à l’aide de machines sophistiquées, puis les grains triés sont stockés dans de gigantesques silos. Une fois arrivée au fournil du boulanger, la farine, issue de différentes variétés de graines, en contact avec de l’eau salée (mélangée à de l’acide ascorbique et divers additifs qualifiés d’améliorants), commence à gonfler sous l’action des levures avant d’être cuite au four pour devenir du pain. Durant ce long processus de fabrication à quelle étape se termine le naturel et quand commence l’artificiel ?
Le vin
Tout comme le pain que nous achetons, le vin produit vivant suit un processus de fabrication industrielle des plus ingénieux ! Avant de récolter le raisin qui donnera plus tard le vin, résultat de la transformation alcoolique du moût, il aura fallu au préalable planter la vigne. Cette vigne qui provient d’une pépinière où des porte-greffes non fructifères seront greffés. Un greffage qui consiste à souder un porte-greffe non fructifère résistant au phylloxera choisi en fonction de différents critères (le type de sol, son cépage…) sur un greffon (le cépage lui-même variant en fonction des différents clones qualitatifs obtenus par hybridation). Le choix et la technique sophistiquée du greffage auront pour objectif de prendre en compte le type de vin recherché, une manipulation végétale évidemment contre nature. Ensuite viendra la plantation, organisée de façon à rationaliser sa culture par la suite mécanisée. Faut-il rappeler là encore que la vigne est une liane et que si l’homme ne la taillait pas, celle-ci se propagerait de manière anarchique et donnerait des fruits de piètre qualité. La conduite des vignobles consiste à mutiler la plante en la taillant pour ne garder que quelques rameaux dans le but de ne laisser se développer qu’un très faible nombre de bourgeons. Je ne m’attarderais pas sur les différentes étapes que compte le travail de la vigne : taille, tirage des bois et attachage en l’hiver puis l’épamprage au printemps, suivi du relevage et des faucillages en été. Des travaux d’entretien de l'enherbement par broyage ou par travail du sol, corrélés avec l’apport d’engrais organiques et chimiques. Je n’ose évoquer la protection phytosanitaire par pulvérisations de produits toxiques pour l’environnement et ses applicateurs qui ont pour but de lutter contre les parasites principaux, le mildiou et l’oïdium…
Mais même si le viticulteur prend un soin particulier à chaque étape de la production, celui-ci ne maîtrise toujours pas les conditions météorologiques qui influent de manières déterminantes sur la qualité du produit fini. Le millésime, différent chaque année, aura un impact direct sur le goût du vin. Les défauts liés à une sécheresse trop prononcée ou des pluies trop importantes en fin de saison marqueront la typicité de l’année. Ses défauts comme ses qualités pourront être atténués ou exacerbés au cours de sa vinification et de son élevage grâce au savoir-faire du vigneron assisté par un œnologue-conseil. Le vin pourra ainsi subir différents traitements spécifiques (collage, filtration…). Tout au long de sa conservation jusqu’à sa mise en bouteille, pour éviter son oxydation, le maître de chai aura recours à l’utilisation d’anhydride sulfureux.
On voit apparaître depuis peu des vins « naturels » dont les arguments marketing destinés à une partie de la population la plus aisée vantent la supériorité de ces vins dépourvus de sulfites. Pourtant, si le soufre dans le vin n’est pas obligatoire, il est fortement conseillé de savoir l’utiliser avec parcimonie. Car s’il est regrettable d’avoir une odeur de soufre trop prononcée dans un vin moelleux, il est encore plus navrant de ne pas pouvoir déguster un vin blanc sec qui n’aurait pas été suffisamment protégé de l’oxydation et dont la teneur en acide acétique vous inviterait plutôt à le verser dans le vinaigrier.
Quand l'idéologie pro-nature de Greenpeace perd la raison.
Le phénomène le plus inquiétant à mon sens aujourd'hui chez les défenseurs de la nature c'est le fanatisme qu'ils peuvent déployer pour défendre une cause qui nuit à l'humanité, cette humanité qu'ils prétendent pourtant vouloir préserver.
Au nom de la nature et du refus des avancées scientifiques l'organisation pro-environnement Greenpeace préfère sauver des baleines et laisser mourir des enfants de malnutrition en Asie. Le docteur Henry Miller, médecin et biologiste moléculaire affirme que le riz doré génétiquement modifié et enrichi en bêta-carotène et vitamine A, pourrait s'il était cultivé, sauver un demi-million d'enfants de la cécité et plus de la moitié de la mort. Mais voilà, cette organisation anti-technologique et financièrement très soutenue sait affoler l'opinion publique pour retarder cette agriculture contre nature. Il en a été de même pour le DDT longtemps fustigé par cette organisation qui voulait l'interdire définitivement dans le monde entier. Heureusement l'OMS a retrouvé la raison en écoutant les appels des scientifiques qui ont prouvé que cet insecticide s'il était toxique pour les insectes vecteurs du paludisme sauvait en contre partie des millions de vies humaines sur la planète.
La nature c’est la jungle.
« Est naturel ce qui n’a pas fait l’objet d’une transformation par l’être humain ; est artificiel ce qui est le résultat de l’ « art », c'est-à-dire du travail technique. »
Et bien, autant dire que si l’on s'en tient à cette définition du siècle des lumières tout ce qui constitue notre quotidien est loin d’obtenir la mention "naturel" ! De nos vêtements qui déguisent notre apparence physique à notre maison où circulent des kilomètres de fils électriques qui fournissent de la lumière et qui participent au fonctionnement des appareils électriques, c’est affreux, notre confort quotidien est bel et bien artificiel. Notre habitation est un sanctuaire de technologie où regorgent nos appareils électroménagers comme le réfrigérateur, congélateur, four électrique, four à micro-ondes, lave-vaisselle, lave-linge, cafetière, sèche-linge, adoucisseur, chauffage central, téléphones, ordinateurs, télévision, internet, hifi... Notre condition matérielle nous éloigne de nos ancêtres les plus lointains mais également de ceux d’un passé beaucoup plus récent.
Ah, c’était mieux avant ? Et bien, si vous cherchez à communier avec dame nature il ne tient qu'à vous de rejoindre la grotte humide et obscure et d’apprendre à vous nourrir en redécouvrant les plaisirs de la pêche et de la chasse… Vous aurez alors loisir d'apprécier l’hostilité de votre environnement en luttant pour commencer contre le froid et la faim comme sont contraints de le faire des milliers de sans domicile dans les grandes villes de France.
Pour ceux qui veulent y aller en douceur, vous prendrez ce soir, une douche froide, et demain, on n’oubliera l’électricité… Dorénavant, on mange la viande et les légumes crus, comme au temps de la préhistoire. Et si la voiture est destinée aux gens superficiels, vous n’aurez qu'à vous déplacer à pied, la marche c’est très bon pour la santé mais sans chaussure s’il vous plaît !