Kaputt !
Nous avons eu une intéressante conversation avec un responsable du domaine de l'énergie ; il nous dit, à propos de la COP21 et des mesures incitant à la réduction de la consommation : on ne peut pas prendre de front les acteurs du domaine ; on ne peut pas boxer avec eux : il faut faire du judo.
Sans doute ; un combat de judo commence par un salut, qui ressemble à une courbette. Mais une fois la courbette achevée, le combat commence réellement. Tous ceux qui croient faire du judo avec les acteurs de la COP 21 ou des précédentes, malheureusement, n'ont jamais dépassé le stade de la courbette. Ils se prosternent, courbent le dos ; leur passivité et leur résignation sont interprétés partout comme des encouragements.
Nous ne pensons pas que ce soit la bonne attitude. La politique énergétique du pays, sa politique environnementale, débouchent aujourd'hui sur cette simple constatation : plusieurs millions de chômeurs. Aucun bénéfice tangible, d'énormes déficits et déconvenues, que tout le monde constate, même si beaucoup en refusent les raisons. Mais la prise de conscience se fait progressivement, et bien des industriels se demandent aujourd'hui si cette politique de résignation était en définitive la meilleure. Au-delà de la courbette, ne faut-il pas pratiquer le vrai judo ? Ne faut-il pas, à un moment ou un autre, engager le combat ?
Pour nous, la situation du pays peut convenablement être décrite par un terme physique peu connu : l'état de "surfusion". C'est une situation instable, où le corps tout entier peut passer brutalement de l'état liquide à l'état solide. Un exemple est celui des chevaux du Lac Ladoga, décrit par Curzio Malaparte dans son livre "Kaputt".
Durant l’hiver 1942, des combats opposaient les armées allemande et soviétique autour de Leningrad. Pour échapper à un feu de forêt provoqué par de violents bombardements aériens, près d’un millier de chevaux sauvages se précipitèrent dans le lac Ladoga, dont l’eau était encore liquide, malgré une température très basse. Les impuretés apportées par les chevaux ont conduit à la fin de l'état de surfusion ; l'eau a gelé instantanément et les bêtes ont été prises au piège.
La principale caractéristique de l'état de surfusion est d'être instable ; le quitter est presque instantané et requiert très peu d'énergie. Il suffit d'une poussière, et nous pouvons parfaitement être cette poussière-là.
Bernard Beauzamy