Ce que révèle l’affaire du glyphosate
« Non, la nature n’est pas bonne ; en revanche, l’obscurantisme est aussi coûteux pour la société que dangereux pour la santé. »
Une commission du Congrès des Etats-Unis va interroger les responsables du National Institute of Health (NIH), le très important Inserm américain, et leur demander de justifier les raisons qui les poussent à subventionner le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
Affilié à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), basé à Lyon, le CIRC est connu pour avoir déclaré pendant vingt-cinq ans que le café pouvait être cancérigène. Il vient de se rétracter ou, pour utiliser ses termes, de « réévaluer » sa position et ainsi, si j’ose dire, de blanchir le café, de ce point de vue là tout au moins. Mais c’est aussi le CIRC qui classe le téléphone portable, la charcuterie, la viande rouge, le glyphosate (désherbant fameux et substance active du Roundup) comme cancérigènes « possibles » pour certains, « avérés » pour d’autres.
Pour justifier cette procédure inhabituelle, car la subvention du NIH au CIRC est minime (1,2 million de dollars pour un budget du CIRC d’environ 30 millions, alors que le budget du NIH est de 33 milliards de dollars), Jason Chaffetz, membre du congrès des Etats-Unis, décrit le CIRC comme une institution ayant « un record de controverses et d’incohérences. » (1) Bien entendu, le CIRC s’en défend et affirme que ses travaux sont « respectés pour leur rigueur scientifique, leur processus transparent et standardisé et… l’absence de conflits d’intérêts ».
Pour ceux qui ne verraient pas en quoi cela les concerne, Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, et Marisol Touraine, ministre de la Santé, ont déclaré l’une et l’autre que le glyphosate était cancérigène. Elles se sont engagées publiquement pour que la France vote à Bruxelles contre la prolongation de l’autorisation de ce produit. En mars, les représentants français se sont abstenus, en juin l’autorisation a été prolongée de dix-huit mois. Les Verts, comme Jean-Luc Mélenchon, enragent, mais heureusement les agriculteurs peuvent encore utiliser ce très efficace désherbant, même si l’achat est devenu très difficile pour les particuliers. Comme le dit Bernard Uri, le directeur de l’agence européenne de sécurité alimentaire : la science est entrée dans sa période Facebook : « Vous avez une évaluation scientifique, vous la mettez sur Facebook, et vous comptez le nombre de “like” ».
Comme je le montre dans l’ouvrage qui vient d’être publié chez Robert Laffont (2), ce dévoiement est lourd, très lourd de conséquence. Le Parlement vote en décembre 2012 une loi pour interdire l’usage du Bisphénol A. Pourtant, avant ce vote, l’académie de médecine indiquait qu’une « interdiction radicale paraît irréalisable tant que nous ne disposons pas de produits de remplacements ayant fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité ». Deux milliards de production industrielle quitte la France, mais elle est contrainte d’importer les produits avec du bisphénol car les autres Européens n’y voient là aucun danger. Un débat analogue a lieu aujourd’hui sur l’usage des néonicotinoïdes dont on prétendrait qu’ils ont un effet néfaste sur les abeilles. Là aussi cette affirmation est on ne peut plus discutable.
Enfin, et peut-être surtout, comme l’indique Catherine Hill, la grande épidémiologiste du cancer, « face à des informations confuses, contradictoires, non hiérarchisées, voire complètement infondées, la population peut opter pour des stratégies individuelles de prévention aux conséquences catastrophiques. » Le tabac est plus dangereux que la pollution atmosphérique, les traces de produits chimiques ont moins de conséquences que les toxines naturelles de nombreux fruits et légumes consommés chaque jour, fussent-ils bios…
Non, la nature n’est pas bonne ; en revanche, l’obscurantisme est aussi coûteux pour la société que dangereux pour la santé.
Jean de Kervasdoué est professeur émérite, membre de l’académie des technologies.
(1): Source Reuters : http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5N1CC5RS
(2): Ils croient que la nature est bonne – Ecologie, agriculture, alimentation : pour arrêter de dire n’importe quoi et de croire n’importe qui, Robert Laffont, octobre 2016.